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Volfield13
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MessageSujet: Under Cover   Under Cover Icon_minitimeMer 8 Jan - 14:57

Toujours avec l'aimable autorisation de Gruic.
Je vous propose ici de découvrir mon premier livre unique mélangeant le Cyberpunk et le polar, à savoir qu'il s'agit ici d'un "essaie" d'écriture. J’espère donc qu'il vous plaira et j’attends vos critiques etc... n’hésitè pas tout comme pour Universe Freak, si je peut répondre sans spoil ce sera avec plaisir.
Le chapitre 2 la semaine prochaine  Wink

Under Cover Produc11

Prologue

Année 2654. La Terre anhèle sous la pression de ses 8,5 milliards d’humains. L’existence de ses ressources naturelles se localise dans les holobandes historiques. Les espèces, végétales et animales, se rapportent à des temps révolus. L’écologie relève du passé. Le sens du vocable s’efface des mémoires. Tous les écosystèmes subsistent, réduits en l’état de graines, de semence ou de cellules reproductrices. Ils attendent dans des sanctuaires une hypothétique réimplantation. Un nouveau problème, à la genèse insidieuse, émerge.
La minimalisation des couts de production, à tout prix, déclenche un contexte conflictuel qui dégénère en affrontements et aboutit aux terribles évènements actuels.

Les futurologues prophétisent que la robotisation facilitera et changera la vie quotidienne. La perspective d’une humanité transformée provoque un nombre considérable de réactions favorables et d’objections hostiles, provenant de courants de pensée pluriels.

Les politiques s’emparent du débat ; ils s’y intéressent avec une grande frilosité, puis au fil du temps, avec opportunisme. Ils légifèrent sous la pression des lobbys financiers. Ils adoptent une série de mesures qui privilégient l’aspect mercantile de cette évolution vers une généralisation des androïdes.

L’hyper robotisation de l’activité entraine un accroissement exponentiel du chômage. Loin de faciliter la vie, l’automatisation hyperbolique du travail se réalise sans aucune considération pour le personnel ; seul le profit préside aux décisions. Les résidents de la planète bleue sombrent dans une paupérisation destructrice progressive. Les effets se ressentent avec célérité.
Sur Terre, une vague de terrorisme sans précédent déferle. Elle vise clairement les institutions. Cependant, vitement, la population se retrouve en ligne de mire et une cible comme les autres pour ses houligans de l’ombre. Rapidement, la situation dégénère et les attentats à la bombe deviennent si fréquents qu’ils s’intègrent dans le paysage du quotidien des habitants. Les autorités demeurent impuissantes et les phalanges suspectées se révèlent nombreuses. Nous noterons avec désappointement qu’aucun élément n’étaye les soupçons. Cette nouvelle conjoncture engendre une prise de conscience de certains citoyens qui se regroupent en une organisation de résistants. Constituent-ils les terroristes recherchés ?

Afin de survivre, malgré un environnement presque totalement asphyxié, les humains construisent des androïdes capables d’absorber le CO2 et de produire de l’oxygène. Ces derniers finissent par intégrer la communauté et se fondre dans la masse, jusqu’à ne plus s’en distinguer ou presque.
Les classes dirigeantes, autrement dit les gouvernants et les financiers, fuient leurs devoirs et leurs responsabilités, au profit de leurs privilèges. Elles délèguent la gestion du quotidien, et par voie de conséquence l’organisation sociétale du futur à des subrogés biomécaniques. Cette élite, ignorante de l’actualité journalière, s’enferme dans une réalité virtuelle, encouragée ou instillée par une entité nébuleuse.

Afin de tromper la lassitude du peuple, les consortiums géopolitiques promeuvent des jeux sadiques. Au départ, ces distractions embrassent l’objectif d’éliminer les criminels et les asociaux. Ces diversions dérivatives à la violence « tolérable » s’imposent rapidement comme une institution incontournable. Le nombre des hors-la-loi joueurs devient marginal en regard des sportifs amateurs et professionnels. Ces deniers s’affrontent pour la gloire ou l’amour de l’adrénaline. Les organisations bienfaisantes s’opposent à ces jeux du cirque romain modernes. Elles se résignent et plient l’échine face aux avancées médicales qui découlent de ces défoulements de masse. Prothèses, transplantations et greffes de membres ou d’organes, et autres opérations d’urgence s’améliorent considérablement afin de réparer les pathologies émergentes.
Les Terriens subissent les contraintes d’une illusoire culture sécuritaire, afin de préserver un confort apparent. L’homo sapiens sapiens rate le virage de l’évolution. Il sacrifie sa liberté au profit d’une structure sociale codifiée par des règles supposées assurer son avenir. L’hominidé, rescapé d’une troisième guerre mondiale, accorde un grand crédit à son mode de vie et à ses élus. Cela contribue, sans le savoir, à son éradication. Une métamorphosée espèce se dessine, son avènement approche. Elle s’épanouira sur les cendres de l’ancienne.

Un observateur averti remarquerait qu’un voile crépusculaire assombrit les jours de la civilisation. Une poignée de terriens appréhendent la problématique et tente de s’interposer. Les résistants cherchent un moyen d’agir contre ce terrorisme quotidien, qui s’enracine et se banalise. Cette violence ordinaire éclaire, de ses explosions, un monde plongé dans l’obscurité de l’anéantissement.
L’instabilité institutionnelle et l’insécurité dominent la vie de tous les jours, menaçant l’existence des populations. Dans la crainte de son extinction, l’homme colonise la planète Mars, avec l’espoir futile de rétablir sa suprématie ; il exporte les problèmes terriens dans sa future sphère d’évolution.
Chapitre 1

Objectif Mars

– Veuillez vous préparer aux contrôles d’identité.

La phrase réitérée en boucle, depuis une longue et pénible demi-heure, résonne dans les hautparleurs du spatioport. Gailan sait que cette même phrase et d’autres se répèteront en anglais, puis en espagnol, pour revenir en français.

Le policier observe ceux qui le devancent dans la file d’attente. Une dizaine de voyageurs impatients et leurs bagages passent au scanneur biométrique. Ils subissent une fouille minutieuse. Ces derniers temps, en réponse aux attentats, les politiciens instaurèrent un renforcement des contrôles. Ils espéraient par ce moyen assoir leur légitimité et endiguer les critiques, tout en instituant une sécurité relative. Cette mesure s’avérait parfaitement illusoire, pour la seule raison que nul groupuscule ne revendiquait les méfaits. Rien, à ce jour, ne liait les évènements entre eux. Une étude approfondie démontrait que les profils des rares auteurs identifiés s’affichaient comme exempts de tout antécédent criminel ou judiciaire.


– Les passagers du vol 123 à destination de Mars doivent se présenter à la porte B.

La même situation explosive que sur Terre règne sur la planète rouge. Mars, liminaire colonie, première ville artificielle, accueille déjà 1,2 milliard de résidents, hommes ou synthétiques. Ils logent dans des gratte-ciels ou des petits immeubles de banlieue. Moult déflagrations jalonnent quotidiennement l’immense mégapole tentaculaire qui s’épanouit à la surface.

Cinq personnes devant lui, Gailan prépare son passeport, son ordonnance médicale justifiant la détention de somnifères. Il s’assure de la présence de sa fiche de douane, déclarant son argent liquide, son ancienne adresse et diverses données inutiles, mais indispensables. Il sort, d’un geste volontairement lent, sa carte professionnelle et ses papiers officiels de policier. Ces derniers l’autorisent à embarquer son arme à bord de l’appareil.

— Ladies and gentlemen passengers drive 123 Mars please presented to boarding gate B.
Les récents évènements lui reviennent en mémoire, sans cesse. Une bombe s’exprima à grand bruit dans un hypermarché. Les humains et androïdes gisaient, pulvérisés par la tempête de feu et de shrapnel libérée par l’engin explosif. Là aussi, aucune revendication n’éclaira les enquêteurs. Ils ne trouvèrent aucun mobile ou suspect. Cet acte gratuit, demeure incompréhensible.

Trois personnes patientent encore. Le vigile commence à donner des signes d’exaspération. En cause, une petite vieille qui s’est prise d’affection pour lui. Elle relate une anecdote puisée dans sa jeunesse, pleine d’oiseaux, d’arbres et produits alimentaires, dont tout le monde se contrefout, aujourd’hui. L’agent de sécurité sourit et soupire, les sénescences se comportent la plupart du temps comme ça. Ils radotent et imposent, toujours, leur vie passée aux autres, afin de se sentir moins seuls.


— Los pasajeros con destinación al vuelo Marté 123 son rogados que se presentado puerta B.

Le tour de l’inspecteur arrive. Il dépose ses bagages sur le tapis roulant et se soumet aux formalités.

– Vacances ? Questionne machinalement le contrôleur en examinant scrupuleusement les papiers remis.
– Travail. Je pars embaucher au commissariat central martien.

Le vérificateur ne l’écoute déjà plus, il grimace devant le droit de port d’arme et s’éloigne pour donner un coup de fil. La personne derrière Gailan râle. Il hausse les épaules d’impuissance. Il doit attendre.

– Les passagers, du vol 123 à destination de Mars, doivent de se présenter à la porte B.
L’agent revient au bout d’un quart d’heure.

– Merci de votre patience, formule-t-il sans conviction. Vous pouvez y aller.
– Merci, bonne journée.

La phrase se perd dans les méandres de l’habitude. Le garde-frontière blasé n’entend rien. Sans état d’âme, il continue ses fouilles, devant le voyageur exaspéré de son attente.

Gailan s’avance dans le couloir d’accès à l’appareil.

– Monsieur, par ici je vous prie. Une hôtesse de l’air charmante le guide depuis la salle d’embarquement jusqu’à la navette. Nous décollerons dans quinze minutes, veuillez vous assoir.
– Merci, mademoiselle, répond l’enquêteur en admirant sa silhouette.

Ses pas le mènent jusqu’à la place attribuée, près du hublot. Ce dernier se révèle passablement sale. Le policier ne se montre que peu surpris, au regard du prix modeste du voyage. Il soupire et dépose son bagage à main dans le coffre au-dessus de lui. Il se laisse choir sur le siège, entrainant un grincement inquiétant. Les 80 kg de muscles, qu’il vient de réceptionner subitement, en portent la responsabilité, certainement plus que sa vétusté. Gailan crédite mentalement ce fait, à la défense du fauteuil.

Une androïde-hôtesse, très légèrement vêtue, circule dans les travées en s’assurant que les voyageurs s’installent à leur convenance. Sa poitrine opulente capte l’attention des mâles qui l’écoutent avidement sous le regard rageur de leur compagne. Une fois en tête de cabine, la PNC se saisit du communicateur et débite les consignes standards des long-courriers.

Après les dix minutes de retard habituel, les moteurs se mettent à rugir. Le fuselage de l’appareil disparait, caché par les volutes de fumées et de poussière soulevées du tarmac par la pression des propulseurs ioniques. Le vaisseau s’envole, défiant la gravité.
L’engin s’élève et accélère, abandonnant la piste ; au sol, la foule observe l’astronef rapetisser au fur et à mesure qu’il s’éloigne.

– Décollage réussi, émet une voix grésillante dans les hautparleurs, le commandant de bord et moi-même vous souhaitons un agréable voyage. Nous atterrirons sur Mars dans 22 heures.

Les passagers frappent des mains. Tradition absurde oblige. Depuis cinquante ans maintenant, les pilotes artificiels président aux gouvernes des transports spatiaux. Seuls les automates disposent d’une habilitation à tenir les manettes. L’homme, jugé trop impulsif, se retrouve disqualifié. Où se trouve la prouesse dans une manœuvre opérée par une machine configurée pour accomplir cette tâche ? Pourquoi applaudir ? Elles exécutent leur programme, et uniquement cela.


_Afin d’optimiser notre trajectoire, nous croiserons au-dessus du Pacifique en vol atmosphérique. Nous rejoindrons l’espace à la hauteur de la Nouvelle-Calédonie.

Vingt minutes s’écoulent, et une hôtesse invite l’inspecteur à changer de place. Il se demande à quelle intervention divine, il doit son surclassement. Soudain, sa méditation s’achève. L’irruption, d’un garçon et deux filles, qui s’installent dans les trois fauteuils du fond de la première, préfigure le glas de sa quiétude.

Le policier s’attend à ce que le damoiseau occupe le siège voisin, à sa grande stupéfaction, l’impensable se produit ! Le jeune homme abandonne la place à la cadette, il préfère s’avachir à côté de l’ainée des deux sœurs. L’impubère se lance dans une parade de séduction qui ne déplait pas à sa consentante victime !
Gailan se colle contre le hublot. Il épie subrepticement les remuants adolescents, en particulier les demoiselles qui se révèlent, à ses yeux, for délurées. Gailan, désappointé par la vigueur et l’exubérance de ses juvéniles voisins, se plonge dans son guide du routard de Mars. Lui, qui aspire à un voyage tranquille, allait être servi !

– Veuillez installer vos tablettes. Merci.

Gailan récupère un journal auprès d’un agent de bord. L’inspecteur observe la PNC. Il reconnait la personne qui la conduit jusqu’à l’appareil. L’unique hôtesse humaine du bâtiment spatial, la seule à ne pas s’accoutrer de vêtements minimalistes, voire vulgaires.
– Vous désirez autre chose ? demande-t-elle d’une voie douce et mielleuse.
– Je boirais volontiers un verre.
– Soda, café, jus de fruits ?
– Vous servez du whisky ?
– Bien sûr, la jeune femme fouille dans son charriot, elle s’empare d’un gobelet en plastique translucide, et lui verse un doigt de Zat 77. N’hésitez pas à m’appeler, si vous désirez quoi que ce soit. Je vous souhaite un bon voyage.
– Je ne manquerai pas de vous solliciter, merci.
Le temps s’écoule lentement ; il reste huit heures à patienter. Comme d’habitude, les somnifères se montrent inopérants. Gailan se dit qu’avec un passager juste derrière lui, qui ronfle à ébranler les murs, trouver le sommeil relève de la gageüre. Il branche, avec résignation, les écouteurs sur l’écran plat encastré dans le siège devant lui, dans le futile espoir de s’assoupir d’ennui.

La télévision affiche une mosaïque impressionnante de programmes, western, guerre, biotype, ou énième documentaire sur la vie et les parades amoureuses des escargots… Ce dernier contenu provoque chez lui un haussement des sourcils, signe d’incrédulité, et le laisse dubitatif. Il poursuit sa lecture et remarque quelques films de science-fiction et néglige les éternelles informations.

Il opte pour la S.F.. Il se décide pour la trilogie Universe Freak, disponible en version longue. Les livres de cette saga, malgré un démarrage difficile pour l’auteur, finissent par percer et suscitent un engouement considérable. Gailan se rend compte qu’il n’a toujours pas visionné l’adaptation cinématographique des trois premiers volumes : SRX-380, les Inconcevables et La Fleur perdue.
Il lance, le premier film. À un moment, Gailan s’esclaffe en découvrant le commandant de bord pourchasser, nu comme un ver, le droïde de maintenance qui vient de lui piquer ses vêtements. Une situation se révèle récurrente et étrangement familière depuis que l’humanité côtoie les synthétiques. Le voyageur derrière lui grommèle quelque chose, à demi réveillé par le rire, et s’enfonce, de plus belle, au pays des songes.
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MessageSujet: Re: Under Cover   Under Cover Icon_minitimeMer 15 Jan - 13:55

Bonjour, voici le chapiter 2 :

Chapitre 2

Une arrivée mouvementée

– Veuillez attacher vos ceintures, nous atterrirons au spatioport Pallas. Le ciel est dégagé, la température avoisine les 26°. Nous vous souhaitons un agréable séjour.

La navette se pose avec une souplesse surprenante pour un bâtiment spatial massif et vétuste. L’inspecteur défait sa sangle. Il se lève, les jambes ankylosées, il récupère, non sans mal, son bagage ; ce dernier lui résiste, comme pour le défier ; il se niche coincé en travers de l’espace de rangement. Après une lutte, dont il triomphe, la valise s’ouvre. Les vêtements prennent la poudre d’escampette. Ils se répandent sur le siège et au beau milieu de l’allée centrale de l’appareil. Cette mésaventure provoque l’hilarité des jeunes, toujours aussi turbulents et pourtant sagement assis à ses côtés.
– Laissez-moi vous aider, intervient une PNC.
– Je vous prie de m’excuser pour la gêne, murmure Gailan.
– J’ai l’habitude, ne vous inquiétez pas.
– Vous me paraissez la seule hôtesse humaine du bord ?
– Exact, je le crains. Les androïdes reviennent moins chers à exploiter pour les transporteurs. Nous nous raréfions, comme PNC. Je vous avoue que j’effectue mon dernier jour dans ce métier, mon ultime vol aussi. Mon prochain travail se localise ici, sur Mars.
– La compagnie viendrait-elle de vous licencier ?
– Du tout. La jeune femme remue la tête suscitant l’ondulation de ses cheveux couleur ambre. J’ai réussi les examens et les tests d’intégration dans la police, je rentre en fonctions dès demain.
– Vous ne vous nommeriez pas Hermeline, par hasard ?
– Sans l’ombre d’un doute, comment le savez-vous ? Nous ne portons plus de badge et j’ai omis de me présenter.
– Je suis l’inspecteur Gailan, et vous, ma future coéquipière. Sacrée coïncidence, s’exclame l’homme enthousiasmé de travailler avec une partenaire aussi jolie.
– Ça alors ! Si je m’attendais ! J’espère que ma prestation actuelle ne vous donnera pas trop de griefs à mon égard.
– Vous avez passé vos épreuves, avec mention. Vous voilà flic. Le reste m’importe peu, ne vous en inquiétez pas. Je voudrais vous demander : connaissez-vous le chemin pour le commissariat ? Je pose les pieds sur Mars pour la première fois. Or, l’adresse de mon affectation ne m’éclaire que partiellement sur l’itinéraire à suivre pour rejoindre mon poste.
– Je vous indiquerai le trajet.
– Cela ne vous dérangerait pas de m’y accompagner ?
– Aucun problème, retrouvez-moi au terminal, près du snack « La Frite Joyeuse ». Je vous l’accorde, le nom ne parait pas terrible. A l’inverse, les patrons servent de divines frites maison, vous ne regretterez pas. Je vous y attendrai d’ici trente minutes maximum. Nous en profiterons pour mieux nous connaitre.
– Entendu, répond Gailan en souriant.

Hermeline, visiblement ravie, quitte son partenaire en devenir, pour gagner le fond de la navette. Un premier androïde congédie poliment Gailan, et le canalise vers la sortie. Une seconde machine, au niveau du sas, lui remet son arme. Cette dernière émerge d’un coffre où elle se terrait depuis le départ, comme le préconise la procédure. Le fonctionnaire se dirige vers l’espace de livraison des bagages. Il récupère son sac vert, au milieu des valises et paquets multicolores qui défilent sur le tapis roulant, en une rivière immuable. Le policier franchit la zone de douane sans subir de contrôle et erre dans le hall central du terminal.

– Où se situe ce fichu snack ? marmonne-t-il pour lui-même.

Une explosion retentit, suivie de cris et d’un mouvement de panique de la foule. Les voyageurs s’enfuient en tout sens dans un chaos général. Par expérience, Gailan se plaque au mur proche de lui et extrait son arme. Il laisse le flot des fuyards se tarir ; examine l’espace dégagé attentivement et il se décide à bouger. La fumée commence déjà à envahir le hall, l’alarme assourdissante rajoute au stress des usagers.

Une seconde explosion, puissante, se produit. Elle se localise au niveau des sorties de secours. Exactement là où s’agglutinent les passagers en quête d’une échappatoire. La cohue qui y règne contrarie leur fuite. Cette déflagration ne relève pas du hasard. L’auteur avait anticipé les déplacements de la foule paniquée afin de provoquer un grand nombre de victimes. Des bruits de fusillade éclatent à travers le brouhaha des survivants qui crient de plus belle ; pleurs et insultes fusent à tour de bras, la frustration et la peur les tenant au ventre.

– Bienvenue sur Mars, murmure le policier entre ses dents. Il évolue précautionneusement, en direction des échanges de tirs.

La fumée, discrète jusqu’à présent, s’épaissit au fur et à mesure de sa prudente progression. Les débris sur le carrelage, de plus en plus nombreux, commencent à se revêtir de taches d’hémoglobine. Les corps partiellement mutilés jonchent la surface du terminal. Une odeur exhale huile et feu et sature ses narines, un haut-le-cœur l’oblige à s’arrêter un instant. A mesure qu’il s’approche de l’épicentre, les dépouilles se révèlent difficilement identifiables. Les chairs s’entremêlant aux fragments métalliques et aux valises éventrées à demi brulées.
Les tirs s’intensifient. Il localise la source, derrière un pilier fortement endommagé. Un membre de la sécurité, l’épaule et la jambe gauche ensanglantées, allume une ombre tapie dans la pénombre.

– Ho là ! Police ! Inspecteur Gailan. J’arrive vous aider, ne craignez rien. Le vigile, aux yeux dilatés par l’adrénaline et l’effroi, pointe son arme dans sa direction. Je ne vous souhaite aucun mal, je…

Gailan ne termine pas sa phrase, la silhouette profite de son intrusion et expédie un projectile en pleine tête du gardien. Il s’effondre instantanément sur le carrelage froid. Le flic peste et saute derrière ce pilier, ultime et précaire refuge du défunt. Il ouvre le feu sur l’assassin et l’atteint niveau du sternum. Le spectre continue à se mouvoir et à viser dans sa direction. Gailan tire. À sa troisième balle, des arcs électriques jaillissent de la poitrine endommagée de l’agresseur. Sous le regard stupéfait de l’inspecteur, peu après, le robot s’écroule dans un fracas métallique.

– Une machine ? Absolument impossible, les lois d’Asimov interdisent un tel comportement, s’étonne-t-il à voix haute, tout en s’approchant de la forme, interloqué.

L’être artificiel git à terre ; il reprend d’un coup l’offensive, et exploite la proximité de son nouvel ennemi. Une barre de fer arrachée aux rambardes des files d’attente, il tente de sabrer l’intrus qui l’esquive par pur réflexe. La matraque improvisée fracasse une dalle, l’impact projette des éclats de céramique dans les airs. Gailan vide son chargeur, dans la tête du robot, le désactivant définitivement.

À l’extérieur, les sirènes des secours mêlées à celle des véhicules des forces de l’ordre résonnent. Un groupe armé jusqu’aux dents pénètre dans le terminal suivi de près par les pompiers. Gailan se présente les mains levées en évidence, en brandissant ostensiblement sa plaque de police. Un policier en uniforme s’avance et l’interpelle.

– Inspecteur ! Je ne vous attendais pas ce matin. Je constate que vous démarquez et que votre arrivée ne passe pas inaperçue. Notre planète vous accueille avec un feu d’artifice improvisé. Je pense que cet évènement vous montre les problèmes actuels de Mars, avec une tragique précision.
– Je ne me doutais pas que je plongerais dans l’ambiance, si vite, Commissaire. J’espérais une entrée discrète et surtout une meilleure réception, s’exclame Gailan !
Les deux coreligionnaires se reconnaissent grâce à une visioconférence organisée par leurs hiérarchies dans les jours précédents.
– Vous êtes arrivé pendant l’attaque ?
– Un peu avant.

Les pompiers commencent déjà à évacuer les blessées, tandis que les forces de sécurité dépêchées fouillent les moindres recoins du terminal.

– Excellent, vos informations se révèleront précieuses. Je vous écoute, déclare le policier.
– Deux explosions se produisirent, la première ne servant qu’à rassembler un maximum de monde sur les lieux de la seconde, précise Gailan.
– J’en déduis que cet acte résulte d’une planification soignée, bon sang !
– J’en arrive à une conclusion identique. Il y a plus étrange. Un synthétique qui assassine un agent de sécurité et essaye de m’infliger le même sort relève de l’inconcevable. Pourtant, je l’ai supprimé par nécessité.
– Comment ça, Gailan ? Un humanoïde a tenté de vous occire ? Les lois d’Asimov se montrent très claires, elles rendent la chose impossible.
– Je connais ce principe, je vous décris des faits. L’enregistrement vous le confirmera, Commissaire.
– Inutile, je ne mets pas en doute votre rapport, cela ne s’invente pas un truc pareil et je n’occulte jamais de piste. J’observe qu’un détail cloche. Une machine ne réagirait pas de cette manière et de son propre chef.
– Chef, je n’aperçois pas une ex-hôtesse, Hermeline, qui débute demain comme enquêtrice, elle naviguait à bord de mon vol. Je ne vous cache pas mon inquiétude à son égard.
– Comment la décririez-vous ? intervient un ambulancier saisissant au vol la conversation.
— 1,70 m, les cheveux et les yeux aux couleurs d’ambre, un joli de minois et une corpulence d’environ 60 kg.
– Suivez-moi, vous aussi, Commissaire. Je vous cherchais, nous avons déniché quelque chose de bizarre.

Les trois individus se dirigent vers un sac mortuaire ; une étiquette rouge et apposée juste à côté interdit à quiconque de le déplacer.

– Vous la reconnaissez ? Questionne l’ambulancier en soulevant le drap, découvrant le visage de la victime.
– Elle lui ressemble trait pour trait, j’en conviens. Dites-moi pourquoi l’isoler.
– Elle n’appartient ni à l’espèce humaine ni à la classe des synthétiques. Il s’apparente à un cyborg, précise le sauveteur.
– Les cyborgs relèvent des légendes urbaines, proteste le commissaire.
– Veuillez noter qu’il ne s’agit pas de moi, vu que je me tiens à vos côtés en chair et en os. Je vous invite à observer que je ne possède aucun grain de beauté sous orbite droite, contrairement à la chose devant nous.

L’inspecteur se retourne surpris. Gailan se demande, l’espace d’une seconde, s’il ne devient pas fou. Le corps inanimé devant lui ressemble bel et bien à celui de l’hôtesse. Alors que la PNC se dresse derrière lui incontestablement vivante, et encore plus ébaubie que lui.

– Comment ? Articule Gailan avec peine.
– J’ai pris du retard à la suite de la signature de mon solde de tout compte. Je me trouvais dans les bureaux de la direction quand la première déflagration retentit. J’ai agi au plus vite pour vous rejoindre. Il règne un tel chaos que la tâche se révéla ardue.
– Votre solde ? s’étonne le commissaire, aucune importance, ne répondez pas. Me trompai-je, si je vous identifie comme notre nouvelle recrue ?
– Affirmatif, répond Hermeline.
– Pourquoi portez-vous une tenue d’hôtesse de l’air ?
– Je termine mon contrat, à l’instant, comme vous vous en doutez. Une erreur du service de paie. Mon ancien employeur m’a contrainte à revenir bosser pour lui, une fois ma formation de policière achevée. Pour tout avouer, mes vêtements civils se trouvent encore dans ma valise.
– Eh bien, vous réservez plein de surprises, mademoiselle. Vous disposez de votre plaque ?
– Pas encore, monsieur.
– Cette situation m’impose de vous ordonner, de prendre l’inspecteur avec vous, et quitter la scène de crime. Pour l’heure, rentrez chez vous, nous poursuivrons tout ceci demain. Comprenant que Gailan s’apprête à protester, le commissaire précise : je considère que vous débarquez à l’instant. Il me semble nécessaire que vous vous accordiez le temps de vous délasser.

Gailan s’éloigne, vexé de ne pas suivre l’enquête. Il oublie sa déconvenue, le mystère de la réplique de sa partenaire captive, très vite, son attention. Il se sent soulagé de la savoir en vie.
Ils quittent les lieux du drame en maugréant. Leur éviction ne leur plait guère. Aux yeux de leur patron, ils passent pour des novices, il convient d’agir avec patience et professionnalisme.

– Où habitez-vous ? questionne Hermeline.
– Un petit immeuble sans prétention, 15 rue Occhi, dans le second arrondissement.
– Idem ! il comporte trois étages, je réside à cette adresse au dernier palier à gauche.
– Quelle coïncidence ! J’occupe le logement de droite de ce palier ! Au pire, nous nous perdrons ensemble.

L’homme sourit, rassuré de ne pas se retrouver seul, lâché dans une ville inconnue.

La conversation les conduit de la sortie du terminal, jusqu’au parking. Les secours continuent d’affluer, au beau milieu des journalistes, ils débarquent en masse et encombrent tous les accès. Micro et caméra aux poings, ils tentent par tous les moyens de pénétrer dans le bâtiment. Ils cherchent à décrocher l’information unique, que leur collègue n’obtiendrait pas. Partout, des flashs incessants illuminent l’endroit.

– Héler un taxi relèvera du défi, s’exclame Gailan en observant la foule s’épaissir.
– Inutile, nous disposons de ma Findus, s’exclame Hermeline.
– Quoi ? s’écrie l’inspecteur, interloqué.
– Le modèle de la marque de mon véhicule antigravité, s’esclaffe la jeune femme ; les yeux pleins d’étoiles.
– Personnellement, je choisirai un nom différent, cela manque de sérieux.
– Mon bijou doit m’attendre là, poursuit Hermeline en le trainant au beau milieu du parc de stationnement désert.
– Comment ça : doit ?
– Je l’ai acheté par correspondance à la maison mère. Le commercial m’a promis de me la livrer ici, ce matin. J’ai reçu les clés la semaine passée.
– Vous… tu ignores à quoi elle ressemble.
– Bien sûr que non, ricane Hermeline.

Ils progressent dans l’édifice, en tirant leurs valises à roulettes, rescapées par miracle des terribles évènements. Tout au fond du garage niveau moins deux, un engin emmailloté et sanglé se détache proprement des multiples moyens de locomotion.
– Je pense que là voilà ! Aide-moi à retirer la toile.
Son acolyte s’exécute, craignant le pire.
– Oui ! s’exclame la policière, excitée. Elle accomplit, comme un pèlerinage, le tour de son automobile, en admirant, s’extasiant et s’arrêtant devant chaque détail.

La bâche dévoile une étrange voiture. Elle se définit comme un mélange de rectangles et de cylindres à la couleur ambrée presque mielleuse, comme la citrine du même nom. La Findus affiche une teinte analogue aux pupilles et aux cheveux de sa propriétaire.

Ah ! Les femmes et leurs idées coquettes ! En pensant cela, Gailan extériorise sa frayeur irrationnelle à l’idée de monter et surtout d’être aperçu dans un truc pareil.

– Elle en jette, hein ?
Comprenant que sa question se veut purement rhétorique, l’inspecteur saisit vite que répondre franchement vexerait sa collègue.
– Tu ne dis rien ? reprend-elle pleine d’autosatisfaction.
– Hein ? Euh… elle possède un charme certain, rétorque l’intéressé, une goutte de sueur perlant le long de sa tempe.
– Grimpe, ordonne Hermeline !
– On entre comment, s’enquiert Gailan ?
– D’après la brochure, il suffit que j’applique la paume de ma main sur une plaque… voyons… Oh ! là ! elle touche délicatement sur le capteur et elle annonce : deux passagers à l’avant. Le véhicule dévoile deux ouvertures donnant sur l’habitacle.

Hermeline à peine calée, l’engin démarre, un léger vrombissement s’enclenche et la voiture s’élève du sol avec une souplesse étonnante.

– Pour les bagages ? Demande l’homme peu rassuré de s’installer à bord d’un truc pareil.
– Pose tout sur la banquette arrière. Le reste de mes affaires débarquera directement chez moi.
– Tout comme moi, je t’aiderai, annonce Gailan.
– En avant, s’exclame Hermeline.
Le chapitre 3 la semaine prochaine Wink
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MessageSujet: Re: Under Cover   Under Cover Icon_minitimeVen 24 Jan - 6:56

Chapitre 3

Installation

Traverser rue, avenue ou autre boulevard de Mars à bord d’un rectangle jaunâtre s’avère ubuesque. Les regards obliques et moqueurs des passants, à chaque feu rouge, irritent l’inspecteur. Il ne parvient pas à tenir en place. Sa carrure d’athlète impose une charge imprévue aux sièges conçus initialement pour un corps svelte et féminin. Cette prédestination rend l’assise incommodante pour l’occupant actuel.

Hermeline, ravie de conduire son bien, se mord les lèvres pour s’abstenir de rire en observant son collègue se tortiller pour trouver une position confortable. Entre chaque arrêt, elle teste un nouveau réglage du siège de son passager. Elle contemple, machinalement et étourdiment, les enseignes publicitaires. Ils vantent les mérites des cigarettes dont la fumée change de couleur selon les humeurs de son consommateur. Cet article de luxe se vend probablement beaucoup sur Mars, déduction logique induite par les nombreux panneaux qui glorifient le produit.
La conductrice adresse de temps à autre des signes amicaux, à la foule éberluée par l’étrange moyen de locomotion qui s’offre à leurs yeux. Déformation professionnelle oblige, l’ex-hôtesse se montre avenante et courtoise. Tandis que son passager se tasse progressivement, il s’efforce de se soustraire aux regards. Tous deux tournent en rond, un quart d’heure, sans trouver l’immeuble qu’ils recherchent. Le hasard sert leurs aspirations et ils stoppent accidentellement devant la façade de leurs logements.

À peine, sortent-ils de la voiture antigravitée que le camion de déménagement de la jeune femme arrive. Las des heures écoulées, Gailan se résigne, désabusé, à les aider. Il s’échine à monter les colis et divers mobiliers au troisième étage. Tâche fastidieuse sans l’assistance bienfaisante d’un ascenseur, ce dernier s’accorde, pour l’heure, une panne. Constante oblige des journées épuisantes. Bien entendu, les voisins toujours enclins à la solidarité se terrent chez eux. Seule, une vieille mémé, au rez-de-chaussée, leur propose à boire. Elle leur offre en prime un sourire impeccable.
Dix-sept heures sonnent, quand l’homme reçoit ses propres affaires. Sa collègue de travail organise son antre ; il n’ose la déranger. Une fois encore, les dieux jouent de malice, si l’on prend en considération qu’il habite lui aussi au dernier étage. Gailan se retrouve seul pour effectuer le transfert de ses effets personnels, l’androïde déménageur souffrant subitement d’une panne, loi de Murphy oblige.

Il accomplit un nombre incalculable d’allers et retours, sous le regard compatissant de la vielle. Celle-ci décide de déposer à son attention, un broc de limonade et une poignée de biscuits secs, dans un plateau. Elle l’installe sur une table basse. Il ne s’octroie aucune halte, hormis un court intermède pour dépaqueter un appareil. Gailan le destine à égayer sa future soirée. Plus tard, il s’arrête un instant, pour réaliser la mise en fonction de son robot domestique.

Éreinté, par une journée devenue harassante, au fil des heures, il se traine sous la douche. Péniblement, il ôte son t-shirt collant de transpiration.
Son dos musclé strié de grandes cicatrices, fruits des balles et des éclats de verre récoltés lors d’un cambriolage, le fait toujours souffrir. Ces algies constituent les seules récompenses obtenues, en tentant de stopper les criminels. Il réalise qu’il a omis de lubrifier son genou mécanique. Il lui cause en complément d’une douleur lancinante, quelques difficultés pour se mouvoir. Son pantalon entre dans la danse et lui donne du fil à retordre. Il peste de sa négligence et se glisse sous la douche.
Les petits moteurs, de son auxiliaire artificiel, vrombissent. L’engin s’empare des vêtements au sol, pour les ranger dans un carton, d’où des habits émergent. Le domestique, en suivant la logique primaire de ses programmes, a cru bon de déposer son fardeau dans le premier espace qu’il évalue conforme. En l’absence de la panière à linge, prisonnière d’un paquet, l’endroit lui semble adéquat.

Propre et revigoré, l’homme se cale dans son fauteuil. L’holoécran allumé, il se détend au milieu des boites. Il rangera l’appartement, ultérieurement. Pour l’heure, son attention se focalise sur sa soif.

– Reg, s’il te plait, amène-moi un truc, à boire très frais.
– Bien sûr. Le robot fonce au réfrigérateur, l’ouvre, il reste indécis.
– Que t’arrive-t-il ?
– Que désirez-vous ? Reg élude la question.
– Une bière, annonce Gailan.
– L’alcool ne convient pas pour la santé, choisissez, plutôt, un verre de moutarde, rétorque Reg.
– Fichu logiciel primaire, peste Gailan. Donne-moi un coca.
– Comme vous préférez. Reg saisit la bouteille et il l’apporte à son maitre. Il se poste en face de lui immobile, ses capteurs d’observation rivés sur l’homme.
– Merci, retourne à la cuisine.
– Mais, là-bas, rien ne requiert pas ma présence.
– Vas-y. Sans discussion.
Le petit droïde s’exécute et s’arrête sur le seuil de la porte de la pièce en question. Ses senseurs se bloquent sur son propriétaire. Ils l’observent siroter sa boisson et attendent un ordre, promesse d’une prochaine mission.
Pour le malheur de Gailan, son assistant n’est pas configuré pour l’aider à déballer et ranger ses affaires. Le policier se retrouve livré à lui-même.

Le temps passe, et l’homme zappe encore et toujours à la recherche d’un programme captivant, en vain. Il finit par s’assoupir sans s’en rendre compte…
Il sommeille à bord de son véhicule, sa femme, à sa gauche, conduit ; sur la banquette arrière, sa fille somnole ; un sourire étrange aux lèvres. Des congés… Sa première semaine de vacances en cinq ans ! Les occupants de l’automobile s’impatientent. Ils tardent d’arriver dans les Alpes et de revêtir pour cette semaine la tenue de skieurs. Ils se languissent de manger des raclettes ou des fondues du cru, lézardant auprès d’âtres doucereux de la cheminée. Le feu revigorant laisse échapper un grand… « Dring ».
Il sursaute ; « dring ». Le carillon de la porte répète son appel et le tire définitivement des enfers morphéens. Le livreur sonne une nouvelle fois avec insistance.

– J’arrive !

Gailan se lève et réprime un cri de douleur. Il sollicite intempestivement son genou ; il a omis de lui accorder les soins essentiels que sa prothèse réclame. En grimaçant, il ouvre son antre à un jeune pizzaïolo.

– Bonsoir ! Monsieur, cela vous coutera 11,95 crédits, s’il vous plait.
– Désolé, je m’étais assoupi, tenez, gardez la monnaie.

Il lui tend son paiement, en feignant un sourire de sympathie, tiraillé par les lancinations.

– Merci bien. Passer une bonne soirée.

Le petit commissionnaire s’efface rapidement dans la cage d’escalier. Il se presse avec l’espoir de résorber le retard sur ses livraisons.
Refermant la porte, l’inspecteur ne peut s’empêcher de lancer un regard vers celle de sa voisine. Doit-il l’inviter afin d’apprendre à mieux la connaitre ? Il hésite un moment. N’apercevant aucune lumière perlée sous le battant, il se ravise et se persuade de l’inutilité de la démarche.
– Je la rencontre demain, formule-t-il à haute voix, comme agissent ceux qui aiment inconsciemment s’imposer une vérité rassurante ou une évidence quelconque. Réaction futile, mais importante pour la santé mentale. Il s’assoit, et s’occupe de son genou. La pipette de lubrifiant, toujours à portée de sa main, déverse le liquide nécessaire au bon fonctionnement de sa prothèse. La douleur s’atténue et disparait rapidement.

Il déchire un nouveau carton afin de récupérer son lecteur et le branche sur son écran. Il saisit un des nombreux cristaux, réceptacles de divers longs métrages et séries et le glisse dans l’appareil. Le très vieux film, « Planète interdite », apparait, chef d’œuvre de la science-fiction. L’inspecteur nourrit une curiosité récurrente, quant à l’interprète principal Leslie Nielsen. L’acteur évolue en jeu impeccable, très loin des productions comiques, qu’il affectionnera ultérieurement, dans sa carrière.

Parvenu à la moitié de la séance, le ventre lesté d’une pizza aux quatre fromages, Gailan s’endort. Sans en prendre conscience, il rejoint sa femme, sur la route, vers Gap, en direction du Queyras et des stations enneigées…
Sa petite fille se réveille.
– On est arrivé ?
– Pas encore, bientôt ma puce, susurre la conductrice, lui jetant un rapide clin d’œil à travers le rétroviseur intérieur.
– Tu as bien dormi, demande Gailan ?
– J’ai rêvé de licornes. Elles se promenaient au bord d’un château avec plein de tours.
– Pas de princesse ?
– Ben si ! Moi, répond la petite, avec une évidence désarmante.
– Et le prince ?
– Papa n’était pas là, il y avait des fées et des arcs-en-ciel.

Ils continuent de rouler, la météorologie magnifique permet au Soleil de diffuser ses rayons à travers les frondaisons. Le camion surgit si vite du virage, que la femme ne parvient pas à freiner…

Gailan se réveille en sursaut, trempé de sueur. Il se masse le genou par réflexe, le cerveau recèle des habitudes tenaces. Il regarde sa montre, 4 h. Trop tard pour se recoucher, trop tôt pour se lever.
Il procède à ses ablutions, et déballe quelques cartons. La machine à café demeure introuvable.
Reg, toujours fixé dans l’encadrement de la porte de la cuisine, patiente en attente d’instruction, et observe le policier s’affairer.



A suivre ,Chapitre 4 : Prise de fonctions
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MessageSujet: Re: Under Cover   Under Cover Icon_minitimeMer 29 Jan - 12:56

Chapitre 4

Prise de fonctions


L’inspecteur se lève de son fauteuil. Seul, ce meuble a mué depuis l’emménagement ; son exuvie, en papier bulle, traine toujours autour du siège. Quelqu’un heurte à sa porte. Presque frais et disponible, il ouvre avec ce sourire idiot des gens heureux d’un rien. Elle se dresse là, devant lui, en jean et t-shirt beige, et un béret basque sur la tête.

– Je te dépose ? demande Hermeline trépignant d’impatience d’aller prendre ses fonctions, et de conduire sa « chose ».

Gailan redoutait cette proposition, qu’il savait inévitable et prévisible. Monter dans ce bâtonnet le rend mal à l’aise. Pourtant, il ne parvient pas à en identifier l’origine, le ridicule de la situation ne justifie pas à lui seul son présent embarras. Il s’entend raisonnablement répondre.

– Volontiers. Je récupèrerai un véhicule de service à notre arrivée au commissariat enfin, nous en bénéficierons, plus exactement.
– Tu disposes d’une voiture ? La chance ! J’ai dû me ruiner pour ma Findus.
– Pour un bâtonnet ? Il coute si cher ? Laisse échapper l’homme, dans son instinctive réponse.
– Ne te moque pas, je ne touche pas un gros salaire. Voilà tout ce que je peux m’offrir. Néanmoins, la couleur s’avère superbe, non ?
– Oui, oui, je te taquine, réplique-t-il rapidement, pensant que ses yeux et sa chevelure d’ambre s’imposent comme plaisants à regarder. Je te proposerai volontiers un café, mais, comme tu le constates, je n’ai pas fini de tout déballer. Ma machine se cache je ne sais où.
– Ne t’inquiète pas, chez moi aussi, quelques cartons imitent la tour de Pise et réclament mon attention, précise Hermeline.
– Reg, je sors. Tu t’occupes du ménage.
– Bien sûr. Prenez soin de vous. A bientôt.

Sur ce, ils descendent les escaliers et quittent l’immeuble, sans omettre d’adresser leurs respects à la grand-mère du rez-de-chaussée. Toujours assise devant son repaire, elle ne se départit jamais de son expression bienveillante et pleine de sagesse ; un minois façonné, au fil des années, par l’expérience. Une aïeule, gardienne silencieuse des décennies écoulées.

L’étrange rectangle garé devant le bâtiment semble défier quiconque de grimper à l’intérieur pour une ballade. Les passants interloqués s’arrêtent les yeux ronds, parfois riants. Occasionnellement, ils prennent des photos, qui tourneront sans nul doute dans les courriels de bureau agrémentés de commentaires bien sentis.

Les partenaires s’installent dans l’habitacle, le moteur ronronne et le véhicule s’élève. Les lumières s’atténuent tandis que le Soleil matinal offre timidement ses premiers rayons. La circulation se présente comme fluide, chose rare dans les grandes métropoles, surtout aux heures de départ pour le travail. En vingt minutes à peine, ils arrivent au commissariat. Un vaste immeuble carré, de six étages, jeté sur la chaussée se détache nettement des innombrables bâtisses par sa couleur bleutée de mauvais gout.

Le stationnement, au premier sous-sol, oblige Hermeline à passer en conduite standard. Les roues se déploient et adhèrent à l’asphalte incliné. La voiture descend la pente, les pneus neufs crissent dans les virages, enfin ils se garent.

– Un parking à l’ancienne ! je ne pensais pas qu’il en existait encore, s’étonne la jeune femme.
– Le bâtiment date, il entre dans la catégorie des premiers construits, le contraire m’aurait ébaubi.
– Ah ! je vous attendais, émet une voix derrière eux. Le commissaire émerge, un gros mug de café brulant à la main. Vous voilà matinal, j’apprécie. J’espère que ce ne sera pas qu’aujourd’hui. Il s’en déroule de belles sur Mars. Suivez-moi… Oh ! tenez les clés de notre QG ! Gailan les saisit avec difficulté. Il devance Hermeline gênée dans ses mouvements par l’éclairage feutré.

Les pas de leur supérieur les guident jusqu’à l’ascenseur. L’engin les mène aux quatrièmes étages. La porte coulissante s’ouvre, devant eux, une salle parfaitement organisée s’offre à leurs yeux. Nul mur ne sépare les bureaux, à l’exception de celui du commandant et de ses inspecteurs. Ceux-ci occupent des box, alignés au fond de la pièce.

– Je vous montrerai où vous installer ultérieurement. Je vous demande d’abord de signer la paperasse habituelle.
– Entendu. Gailan brise son silence ouvrant la voie à une intervention d’Hermeline.
– Je dispose d’une place pour me poser, moi aussi ?
– Vous partagerez l’antre de votre partenaire. Au fait, inspecteur Gailan, en haut lieu, on voulait vous coller un androïde dans les pattes. J’ai refusé fermement. Ils s’avèrent certes efficaces, mais il demeure des situations où seul l’homme se montre capable de réaliser le bon choix. Hermeline, ici présente, a réussi ses examens avec maestria, je préfère lui donner sa chance.
– Les protocoles des synthétiques induisent qu’ils nous respectent inconditionnellement, j’ai déjà perdu des compagnons à cause de cela. Je vous remercie donc.
– Vous me plaisez, vous deux, et mon nez ne me trompe jamais.

Le chef les conduit dans son repaire. Un superbe meuble en chêne massif, son bureau, disparait sous les dossiers. Il entrebâille une petite fenêtre, elle laisse l’air frais du matin dissiper l’odeur de renfermé de la pièce. Sur le secrétaire face au poste de travail, deux chemises à élastiques trainent négligemment à côté d’une machine à café, de taille imposante.

– Ah ! les voici ! Veuillez lire, parafer et signer ces feuilles : vos contrats. Ensuite, nous irons au centre scientifique et d’autopsie, au sous-sol. Je souhaite vous montrer quelque chose.
– Nous disposons d’un laboratoire ? questionne Hermeline en examinant ses documents.
– Le bâtiment semble peut-être vétuste, mais, oui, nous bénéficions de tout le confort moderne. Répond leur chef avec un clin d’œil tout en se servant un énième mug de café.
– Tenez, s’exclame Gailan en rendant ses papiers, imité par sa partenaire dans la seconde qui suit.
– Désolé, formalité administrative oblige, vous avez signé la feuille du véhicule aussi ? Ah, oui voilà le document correspondant, je m’y perds. Dire que les ordinateurs et Internet embrassent la vocation à simplifier tous ces trucs… Bref, vos clés. Une voiture, pas des plus neuves, mais qui fonctionne parfaitement.
– Quel modèle ?
– Une Renault, une AG4 exactement. Deux personnes à l’avant, trois à l’arrière, cloison de séparation en transpacier, coffre, mallette de secours, etc. Le standard en somme. Vous la trouverez sur le parking à quelques mètres d’où vous vous êtes garé ce matin, à la place 212. Cela dit, allons-y.
Leur supérieur les précède, pressant le pas, tout sourire.

Déjà, leurs collègues s’installent à leur poste et relèvent l’équipe de nuit. Ils saluent les arrivants à leur approche et les observent avec curiosité. Deux nouveaux membres associés pour travailler constituent une première dans les annales de la police. L’excentricité hasardeuse du patron devenait une habitude.

Certains se laissaient aller à contempler les courbes généreuses d’Hermeline. Elle se dirige vers l’ascenseur, sur les talons de son partenaire et de son patron. La bleue s’en amuse, forte de son expérience, en tant qu’hôtesse de l’air. Elle ne montre aucun signe de faiblesse ou d’intérêt à cette bassecour qui piaille déjà à son sujet.

L’œil entrainé du commissaire surveille la scène sans dire un mot. Il semble satisfait du comportement de sa recrue. Après tout, il demeure très dur pour une femme de s’intégrer parfaitement dans un univers d’homme, surtout dans ce métier. Il a particulièrement étudié son dossier avant de la sélectionner. Il se remémore ces candidates, un peu folles. Elles se montraient persuadées que les affaires de sécurité civile consistent en un job comme un autre. Pour elles, la séduction remplace favorablement l’arme de service. Appartenir à la police reste une profession réservée à ceux qui ont contracté la vocation ! Aussi, il s’étonne, avec une certaine admiration, de ce petit bout de fille. Son classement comme major de sa promotion démontre ses aptitudes exceptionnelles. Son instinct l’informe que les deux nouveaux formeront un tandem très efficace.

L’ascenseur les descend jusqu’au troisième sous-sol. Un laboratoire s’accole à une zone d’autopsie ; les deux salles s’accordent en un aménagement harmonisé. Ils attendent patiemment, devant un sas vitré, que le médecin légiste, une femme, finisse de se laver les mains ; qu’elle ôte son tablier bleu maculé de sang et qu’elle le jette dans la poubelle. Elle retire, alors, son bonnet de chirurgien et dévoile une chevelure rousse abondante et parfaitement lissée. Elle revêt un sarrau, et leur adjoint d’un geste d’entrer dans la salle.

– Bien, bien. Je vous écoute. Vous venez pour l’affaire de l’aéroport, je présume ?

Habituez à ce que son légiste anticipe ses visites, le commissaire la suit. Il envoie un signe amical à l’assistant du praticien, timidement reclus dans un coin et qui attend de recevoir de nouvelles consignes. Dans son sillage, ses deux poissons-pilotes le talonnent en silence. Ils saluent également le jeune homme fluet.

Gailan avait côtoyé bon nombre de médecins dans sa carrière. Les cadavres représentent pour lui un univers empli de mystères, il dévoile moult secrets aux enquêteurs. Ils dévoilent des énigmes parfois effroyables. Il croisa beaucoup de ses investigateurs des morts. Pourtant jamais aucun n’évolua avec autant de virtuosité, dans une salle d’autopsie, que cette femme-là.

D’habitude, les légistes papotent sans cesse, peut-être pour s’affranchir de l’assourdissant silence de leurs sujets couchés sur les tables glacées ; ils embrassent pour habitude à s’écouter parler afin de créer une présence sonore. À moins que les praticiens considèrent comme vital d’entretenir un dialogue avec les défunts pour en apprendre davantage. D’autres médecins des morts leur racontent leurs vivifiantes existences d’étudiant, ils assomment, sans état d’âme, le trépassé d’anecdotes frivoles.

Toutefois, tous montrent d’une grande compassion, et tous, malheureusement, possèdent un tiroir maudit, toujours clos. Un caisson dévolu aux sans nom. Chaque légiste recèle sa Jane ou son John Doe. Il espère, un jour, leur donner une identité et un repos décent.

– Monsieur Scraper, recouvrez ce patient et amenez-moi les résultats du cyborg.
– Immédiatement docteur. Le jeune homme se dirige avec empressement vers le corps. Il replace délicatement le drap mortuaire et récupère un gros dossier sur le bureau de son chef.
– Il demeure un peu timide, mais il apprend très vite. Il lui manque l’intuition et l’aptitude à prendre des initiatives. Cela viendra avec le temps, diagnostique la rouquine à l’attention du commissaire.

L’assistant remet les documents dans les mains de la femme et ouvre un tiroir, comme pour démentir les propos de sa patronne. Le caisson contient le corps du cyborg. Quelque peu intrigué par les deux nouveaux venus sur son territoire, Scraper lance de furtifs regards dérobés dans leur direction.

– Pour ce cas, je vous demanderai à tous de rester très attentif, déclame la rousse légiste. Commissaire, ajoute-t-elle d’un ton impérieux excluant ipso facto toute intervention de la part de ses invités. Cette dépouille nous a donné beaucoup de mal et suscite énormément d’interrogations. Les échantillons envoyés au laboratoire nous apprennent tout de même certaines choses. Tout d’abord, mademoiselle, regardez attentivement. Même si ce corps vous ressemble énormément, il ne s’agit ni d’un clone ni d’une copie artificielle de vous-même.
– J’avoue que cela me soulage, soupire le commissaire.
– Le sang correspond au type S., comme tous les androïdes.
– S. ? demande Hermeline.
– Groupe sanguin S., pour synthèse. Un fluide chimique, répond timidement le jeune assistant, aux mains sagement positionnées derrière son dos.
– Exact, néanmoins le cerveau s’avère biologique, du moins ce qu’il en subsiste, inspecteur. Plusieurs processeurs y sont greffés. Je considère irréaliste d’affirmer, que cela ait été effectué du vivant du sujet ou après sa mort. Les muscles et les divers organes se révèlent également humains, mais pas la moelle épinière ni les os. Ce corps se confirme fascinant, mais confond l’entendement ! Il semble conçu pour nous singer incomparablement. Impossible de se douter qu’il s’agit d’autre chose qu’un des nôtres, lorsqu’il fonctionne.


La légiste continue sur un ton monotone et las qu’adoptent les gens blasés par trop d’années à effectuer des tâches répétitives. Seuls ses yeux brillent d’intérêt. Elle leur montre le cerveau : 1,4 kg de matière constituée de synapses et de neurones ; 1,4 kg pour gérer toute la machinerie humaine. Le tout parcouru ici, de fines lignes électriques et de micropuces diverses. Certaines nécessitent l’assistance d’une binoculaire pour se rendre visibles.

– Comment se peut-il ? Je croyais que la déontologie convenue condamne les manipulations cérébrales, s’étonne Gailan.
– La loi l’interdit strictement, inspecteur, en effet. Nous disposons du droit à réparer les corps ; ou de greffer diverses prothèses ; voire d’implanter des organes en fibre synthétique. Mais, le cerveau se chronicise inviolable, hors champ de ces manipulations, afin de conserver l’humain.
– Cependant, dans ce cas, la règle se confirme transgressée. Connait-on l’identité de ce cadavre ? interroge Hermeline.
– Non. À mon grand regret. L’ADN et l’ARN s’avèrent complètement écraser par le type S. Je ne m’explique pas comment une chose pareille se révèle possible. Cela dépasse largement les compétences scientifiques actuelles. J’ai même pensé à une farce en recevant les premiers résultats des échantillons.
– Observons-nous là, le kamikaze ? demande Gailan.
– Non, il s’agit d’une victime, l’engin explosif se situait à une vingtaine de mètres de lui.
– Il semble donc envisageable que d’autres cyborgs se promènent dans la nature ?
– Fort probable, en effet, jeune demoiselle. Scraper, le second.

L’apprenti referme avec respect le tiroir et ouvre celui juste à côté. Un corps émerge, le drap mortuaire imbibé d’hémoglobine témoigne de son état effroyable. Le linge a tant absorbé de sang qu’il colle au défunt. Le garçon retire partiellement la couverture rougeâtre afin de dévoiler le haut du cadavre.

– Mais ? Que ?
– Commissaire, ne balbutiez pas. Oui, vous remarquez bien, réagit la légiste, en tendant un seau à Hermeline qui se retient de vomir.

Les dégâts se montrent épouvantables, cependant ce qui révulse les observateurs réside ailleurs. Le crâne du patient apparait, ouvert en deux par la scie chirurgicale. Le sommet de l’occiput repose sur le côté. On distingue un ensemble de trois puces, mais aucune substance cérébrale.

– Où se trouve l’encéphale ? questionne Gailan étonné.
– Ces puces se substituent à la matière organique. Ici aussi, nous examinons une victime de l’explosion.
– Qui arriverait à réaliser une chose pareille ? Et pourquoi ? Formule le commissaire, en se servant un mug de café.
– Aucune idée. J’ignore qui détient des connaissances suffisantes en ce domaine, pour effectuer de tels changements dans un corps humain ou biologique en général.
– Le cerveau du cyborg dont nous parlions correspond à celui de ce corps-là ? s’enquiert Hermeline. Elle domine son envie de vomir sous l’œil amusé de la légiste.
– En aucun cas. Je redoutais la même chose que vous. Les tests prouvent que mes craintes se trouvent infondées.
– Disposons-nous d’une identité pour celui-ci ?
– Non, inspecteur. Le ton de la rouquine se montre pinçant. Je ne veux plus de John Doe dans mes tiroirs, commissaire, je compte sur vous.
– Nous opèrerons en ce sens.
– Si vous permettez, les interrompt le jeune apprenti, vous tireriez un avantage à vous rendre chez Cybertech. Il y a quelques années, ils envisageaient de réaliser ce genre d’expérience. Ils désiraient fusionner l’homme et la machine.
– J’en ai entendu parler effectivement, remarque Hermeline. Les autorités religieuses de l’époque coupèrent court à ce projet.
– Couper court, ne signifie pas abandonner, observe Gailan.
– J’en conviens, cette piste semble à creuser. Chef, demande Hermeline ?
– Je n’obtiendrai pas de mandat sur simple soupçon. Les instances n’aiment pas que l’on touche aux grandes entreprises. Votre enquête doit progresser. En tant que couple, vous prétendrez vouloir être amélioré… je ne sais pas… en matière sexuelle, par exemple. Pour paraitre à la mode. Le seul fait de souhaiter ce genre d’intervention délie les langues. Ou solliciter une optimisation physique légale pour entrer dans une équipe de Death Ball. Tenez-moi au courant, allez-y.

Ils sortent de la salle d’autopsie et reprennent l’ascenseur en direction des bureaux. Gailan désire récupérer divers papiers. La fourmilière grouille d’activités. Déjà, les premiers ivrognes émergent des cellules de dégrisement et quittent le bâtiment, suivi des filles de joie surprises la veille, à racoler dans les mauvais quartiers. Les appels téléphoniques incessants saturent la majeure partie des postes. Disparitions, plaintes, tapage nocturne, coups et blessures, fausses alertes, de fait, le quotidien assoupi durant la nuit s’éveille ardemment. Gailan pénètre dans son bureau et fouille dans les divers dossiers déposés dessus à son attention et en tire un papier.

– Tu n’as pas récupéré ton automatique, je présume ?
– Non, ils ne m’en ont pas fourni.
– Passons la chercher dans ce cas, parafe ça, l’inspecteur lui tend la feuille. Celle-ci lui accorde l’autorisation de port d’arme. Elle porte la signature préalablement apposée par son supérieur hiérarchique.
– Le patron l’avait déjà remplie ?
– Il est de mon devoir d’anticiper, émet une voix derrière eux. Le commissaire les avait rejoints. Je voulais justement vous rappeler que votre partenaire n’était pas armé, mais j’observe que vous effectuez correctement votre travail, sourit-il. Hermeline, descendez au premier sous-sol, la première porte à droite, choisissez ce qui vous convient. Ensuite, vous filerez à Cybertech. Voilà votre plaque.

Le chef les congédie et s’enferme dans son bureau. Il trébuche sur un pli du tapis et renverse une bonne partie de son breuvage noir, sur son pantalon. Quand l’inspecteur et sa collègue arrivent à l’ascenseur, ils l’attendent, encore, pester contre la moquette « … idée de con… » et autres propos véhéments.

Le premier sous-sol se caractérise par une peinture grise qui colonise tout l’espace ; elle recouvre entièrement le béton dense et sans âme. Seules les lampes murales archaïques diffusent une lumière pâle et indiquent que ce lieu est occupé. Au travers de la première porte, le bruit, à peine étouffé, des tirs retentissent.

Un discret panonceau, vissé sur la seconde issue, spécifie « armurerie ». Ils entrent. La pièce, d’environ douze mètres carrés, laisse entrevoir un mobilier minimaliste. Il se compose d’un banc, d’une plante verte en mode survie et d’une gondole surmontée d’une épaisse vitre blindée. Derrière cette séparation, un tabouret tenu accueille un petit type corpulent. Celui-ci parcourt un journal. Il dresse à peine un cil lorsque la jeune femme glisse sa feuille, dans le tiroir à bascule, aménagé au centre du comptoir.

– Première arme ?
– Si on exclut ma formation, oui.
– Une novice… L’homme lève les sourcils au ciel et se laisse tomber de son siège, plus qu’il n’en descend. Le policier disparait derrière des casiers, tous fermés à clé. Quand il prend la peine de réapparaitre, il tient en main un petit neuf millimètres, modèle standard, sans la moindre amélioration ou personnalisation. Remarquant l’œil dépité de la jeune femme, il sourit et s’explique ;
– Il ne s’agit pas de votre arme, je vous la prête juste pour le test, essayez-la. Dites-moi, ce que vous pensez du poids, du recul, de la visée, du confort, bref… Votre ressenti. Voici un magasin. Je vous prierai d’approvisionner ce pistolet uniquement lorsque vous entrerez dans le stand. Et revenez sans chargeur engagé et sans cartouche dans la chambre.
– Bien. Hermeline récupère l’objet, via le tiroir à bascule, d’un air contrarié.

Son coéquipier s’assoit sur le banc en attendant les résultats. Hermeline quitte la salle pour gagner celle de tir. Elle revêt le casque antibruit et garnit le 9 mm ; elle se campe sur ses jambes et positionne ses bras en « Y », elle ouvre le feu sur la cible, située à dix mètres de distance. Le projectile manque son but et se perd dans le mur du fond.

Elle respire profondément et bloque son inspiration et son pistolet aboie. Cette fois, la munition atteint sa destination. Le semi-automatique s’avère un peu trop léger pour elle. Elle rencontre des difficultés à se stabiliser avec lui. Elle affectionne des armes lourdes. Elle vide le chargeur. Sept balles sur dix que contient le magasin transpercent l’homme de papier sur lequel elle s’exerce. Ayant pris les précautions d’usage, elle récupère sa cible, et rapporte le neuf millimètres au petit gros.

– La crosse se révèle trop étroite. L’ensemble parait un poil trop léger à mon gout, annonce Hermeline.
– Montrez-moi votre carton. 7 impacts, dans la tête et en plein cœur, pas mal. Vous trouvez cette arme inconfortable ? Pourtant, votre résultat me semble loin d’un mauvais score, surtout avec un automatique que vous ne connaissez pas… Enfin, je pense vous en dénicher un à votre main.

Une nouvelle fois, il se laisse choir du tabouret. Il dépose le 9 mm dans un bac orange et disparait au milieu de ses armoires.

– Ah ! s’exclame soudainement sa voix. L’armurier émerge, son visage rayonne. Voici, un Sig P-226. À l’époque, nous le considérions comme le meilleur « Handgun ». 19.6 cm pour un poids de 870 g approvisionné. Votre magasin contient 15 cartouches. Vous pouvez y rajouter un laser, une lampe « Surfire » quoique cet accessoire casse la ligne de l’arme.
– Soit 225 g de plus que le spécimen précédent, observe Hermeline.
– 195 g en fait. Le chargeur s’avère d’une capacité supérieure à son prédécesseur. Essayez-moi ce bijou. Je sais qu’il s’agit d’un vieux modèle de 1980, tout neuf et irréprochable.

Hermeline soupèse le P-226 qui détrôna en son temps le P-220.

– Je vous fais confiance, j’éprouve une bonne sensation avec cette arme.

Elle gagne le stand de tir. Elle répète les mêmes actions qu’avec ce modèle et ouvre le feu une nouvelle fois. Le projectile file en plein milieu du front de la silhouette. Les quatorze balles suivantes atteignent la cible, exactement là, où l’inspectrice le désirait. Satisfaite, elle retire le chargeur et s’assure que la chambre s’avère vide.

– Alors, s’enquiert l’homme, en découvrant la jeune femme revenir.
– Je prends, sourit-elle.
– Bien, bien, bien. Voilà un formulaire à remplir : état civil, domicile, matricule, empreinte, signature. Vous parafez ici, et là, précise le bonhomme, son doigt glisse de case en case. Pour votre holster ?
– Épaule si possible.
– Tenez. Ne perdez pas votre P-226, et ne l’égarez pas, non plus. Je vous donne également deux chargeurs pleins, j’espère que vous ne vous en serviriez pas de sitôt.
– Ne vous inquiétez pas.

Elle quitte l’armurerie, suivi de Gailan.

– Tu te montres silencieux, quelque chose te dérange ?
– Je réfléchis à ces corps. J’ai du mal à concevoir pour quel dessin ces trucs existent ? Ces victimes réalisent-elles qu’elles constituent autre chose que des humains ? Déplore Gailan.
– Quelle importance de savoir ce que l’on pense représenter ? Demande Hermeline.
– Imagine que tu découvres, du jour au lendemain, que toute ton existence relève d’un monde fictif ; que ton passé et ta famille appartiennent au domaine du fantasme. De quelle manière réagirais-tu en comprenant que tes souvenirs se fondent sur de simples données imbriquées dans ta mémoire ? demande Gailan.
– Pourquoi en serais-je moins heureuse ?
– Je l’ignore, je m’interroge.
– Ne perd pas ton temps sur de futiles questions métaphysiques. Les religions, universellement débiles, n’existent que pour cela ! Prophétise Hermeline.

Leurs pas les entrainent jusqu’au parking. Le véhicule les attend. Il se démarque du bâtonnet ambré d’Hermeline. Il affiche des lignes sportives soulignées par une peinture blanche et bleu superbe. Ils s’installent, les sièges épousent leurs corpulences au millimètre.

– Y a pas à dire, voilà de la bagnole !
– Pourquoi ? Les autres sont en toc ? réplique la jeune femme en esquissant une moue désapprobatrice.
– Tu ne peux pas comprendre. La comparaison entre la tienne et celle-ci relève de la gageüre. Prenons un exemple basique, les assises. Elles offrent sans contestation possible un confort accru.
– Je déduis que tu trouves ma Findus désagréable ?
– Non, pas exactement, se défend Gailan.
– Roule. Cybertech nous attend ! Ainsi tu arrêteras de critiquer les moyens de transport des collègues. Monsieur, je me plains, mais, sans ma partenaire, je me déplace à pied…

Le moteur s’exprime avec délicatesse au démarrage. Un imperceptible vrombissement accompagne la voiture alors qu’elle glisse sans bruit vers la sortie. Arrivée en dehors du parking, elle s’élève dans les airs, et se dirige vers l’usine en suivant les instructions du GPS.

A suivre, Chapitre 5 : Cybertech
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MessageSujet: Re: Under Cover   Under Cover Icon_minitimeMer 5 Fév - 15:06

Chapitre 5

Cybertech


Les policiers se rendent à l’usine par le périphérique, lui-même accessible via le centre de la ville et une voie rapide. Il existe, probablement, des raccourcis, mais, nouveaux arrivants sur Mars, Gailan et Hermeline préfèrent accorder leur confiance à l’ordinateur de bord. Moult feux rouges ponctuent leur périple. Ils en profitent pour admirer la cité et son architecture fluide. Les bâtiments semblent immenses et inatteignables, car masqués en partie par les files de voitures volantes. Ils parviennent devant l’usine avec une impatiente tempérée, par leur balade touristique circonstancielle.

Plusieurs immeubles abritent les chaines de montage, ils se reconnaissent par les toits arrondis et les monumentales portes métalliques. Les entrepôts affichent une structure en béton du style bunker, par opposition le siège administratif s’élance vers le firmament en un élégant cylindre de verre. L’ensemble architectural allie une forêt de précontraint propre et carré, et un gratte-ciel. Le tout s’entoure d’un grillage, tout en préservant une certaine harmonie visuellement agréable. Les deux policiers garent leur engin sur le parking des employés.
– Et bien, je n’imaginais pas cela si imposant, s’exclame la jeune femme, alors qu’elle pose son pied sur l’asphalte.
– Tu contemples la première usine d’androïdes de Mars, vraisemblablement, la plus importante tout court d’ailleurs. Si quelqu’un en sait long sur la cybernétique, nous le trouverons ici, précise Gailan.
– Oh, nos activités ne se cantonnent pas seulement à la robotique, mais également aux processeurs ou encore au développement des futurs logiciels… Pardonnez mon impudence, je me nomme Achaiah, patron directeur général de Cybertech. J’ai entendu votre conversation en sortant de mon véhicule. Je devine que vous appartenez aux forces de l’ordre…
Les deux policiers observent les alentours. Ils remarquent la présence d’une superbe Mercedes, AG8, qui stationne, à proximité de leur Renault. Leur transport affiche une pâle figure devant la prouesse de technologie que représente l’automobile du PDG.

– Je pense pouvoir vous aider, inspecteurs. Suivez-moi.

L’homme en smoking les guide jusqu’au bâtiment administratif accolé à celui de l’usine principale. Chemin faisant, le patron leur explique l’affectation des différentes structures apercevables. Ils débouchent tous trois dans un vaste hall. Les meubles, qui le colonisent, démontrent un gout certain pour la modernité ; un lustre de taille colossale, en cristal, pend du plafond au beau milieu de la salle. Deux androïdes féminins siègent patiemment à l’accueil. Aucun vigile n’arpente les lieux, pourtant dans ce genre d’endroit, nous nous attendons à croiser beaucoup de surveillants.
– Nos salutations, monsieur, oralisent les synthétiques à l’approche de leur patron.
– Bonjour, bonjour, répond-il. Vous me semblez resplendissantes ce matin, susurre-t-il aux réceptionnistes ; un tantinet lovelace. Il déclenche un ricanement flatté de la part des intéressées.
– Bienvenue à Cybertech. Vous entrez dans l’usine de technologies cybernétiques de Mars. Avancez vers un monde futuriste, déclament-elles aux deux visiteurs.
– Ils m’accompagnent, lance à la cantonade Achaiah, alors que les hôtesses leur tendent des brochures publicitaires.
– Pardonnez-nous, s’inclinent-elles en souriant.
– Aucun problème. Continuer comme cela, mesdemoiselles. Le PDG demande par gestes à ses invités afin qu’ils le suivent.

Ils reprennent leur route, traversent le hall, croisent des robots et des androïdes affairés à des tâches diverses ; maintenance, photocopie, nettoyage, etc.

– Vous n’employez pas d’humains ? s’enquiert Hermeline.
– Oh ! que si ! Ils me causent beaucoup de déplaisirs d’ailleurs. Le personnel occupe différents postes : chaine de montage, aux laboratoires de recherche de développement technologique. N’oublions pas ceux affectés au traitement de la paperasse maudite, dont je ne me dépêtrerai jamais. Nos synthétiques assurent les autres tâches. Nous désirons faciliter l’emploi des humains, donc leur vie ; nous veillons à ne pas leur imposer ce que j’appelle de la fainéantise programmée.

Ils traversent le réfectoire, les ouvriers y avalent leur petit déjeuner. L’ambiance tourne à la rigolade ; des brides de blagues salaces évoquent le « piston » ou encore la « physique appliquée ». Les histoires grivoises agrémentent le travail d’équipe, cela n’étonnerait personne, et de plus normal. Le patron s’arrête un instant pour leur adresser un signe amical. Ses salariés ravis lui retournent son bonjour et l’invitent à consommer un café, offre qu’il décline, prétextant son rendez-vous.

– Vos employés vous apprécient, cette situation s’avère assez rare, remarque Gailan.
– J’ai exercé comme ouvrier ici. Mon défunt père pensait que, pour devenir un bon chef, il fallait d’abord maitriser le métier sous tous ses aspects. Il exigeait que j’officie avec le personnel afin de le comprendre. Que pourrait-on accomplir de mieux à ces fins que de partager les tâches fastidieuses avec eux ? J’ai œuvré une dizaine d’années à leur côté. J’ai travaillé à tous les postes, de l’entretien des machines, jusqu’à l’assemblage sans parler du chargement des camions et des livraisons.
– Judicieuse décision, observe Hermeline.
– Je ne saurais dire, si c’était sage, mademoiselle. En tout cas, je cerne parfaitement leurs soucis. J’essaye de les amoindrir, ce qui ne se révèle pas toujours évident, vous comprendrez que confort et profit ne se mêlent pas aisément. Voici mon bureau.
Une porte noire, ornée d’une plaque, se démarque du mur blanc du couloir où ils évoluent. Un androïde, seau et balai à la main, quitte la salle en fredonnant un air inconnu. L’homme lui adresse un bonjour amical, rendu immédiatement par le synthétique qui sursaute et s’éloigne rapidement. Il semble gêné de s’être laissé surprendre, alors qu’il chantait.

La pièce se révèle très lumineuse. Le blanc et le bleu dominent, à l’exception de l’ameublement gris métallique qui se détache. Sur une invitation implicite, les deux partenaires s’installent sur les fauteuils devant le bureau du PDG. Un large rectangle, en aluminium, s’étale sur le mur, recouvert de gravures sublimes. Elles évoquent et lient animaux, hommes et êtres artificiels.

– Voilà un style relativement moderne comme pièce. Hermeline observe autour d’elle. Les rampes d’éclairage ionique, les tableaux obscurs aux couleurs multiples et les meubles aux formes bizarres agrémentent le vide de la salle. Le hall s’affiche, en comparaison comme très épuré.
– N’est-ce pas ? Je recherchais un moyen de trancher avec le reste des installations, je réside le plus clair de mon temps ; ici, donc, j’ai personnifié mon antre. Désirez-vous un rafraichissement ?
– Un café, volontiers, répond l’inspecteur.

Achaiah claque des doigts, aussitôt un pan de mur se déplace sur la droite. Un androïde se met en branle. Elle cliquète des yeux et s’adresse aux présents afin de connaitre leur souhait de boissons. Puis, elle se dirige vers une machine à l’apparence complexe et énigmatique. Rapidement, deux cafés et un chocolat chaud se retrouvent distribués aux deux hommes et à la femme. Dès cet instant, le robot regagne la cloison qui se referme.

– Je vous prie de l’excuser, ce modèle souffre d’obsolescence, sa conversation reste très limitée. Je ne me résous pas à la remplacer, il s’agit d’un des premiers androïdes domestiques conçus par feu mon père.
– Aucun problème, répond Gailan en avalant une gorgée de café brulant.
– Quelles améliorations apporte Cybertech aux dernières générations ? questionne Hermeline, le palais échauffé par une lampée, de chocolat, ingérée avec gourmandise certaine.
– Par où commencer ? Nous avons considérablement augmenté la capacité mémorielle, ce qui leur permet d’apprendre plus de choses. Ils rient, pleurent ou encore font preuve d’initiative d’une façon beaucoup plus humaine qu’avant. Les anciens tissus tenaient trop du caoutchouc, dorénavant, avec les fibres synthétiques, les chairs deviennent non différentiables. Une ressemblance telle, que nous ne parvenons pas à les discerner au premier abord. Quant au groupe sanguin S., il confère une meilleure assimilation des nutriments. Cette dernière particularité s’avéra d’ailleurs considérablement compliquée à réaliser. Mais nous avons réussi. En prime un bonus imprévu, mais pas des moindres, désormais, ces robots, nouvelles générations, se retrouvent donneurs universels de plasma.
– Je pensais que les synthétiques ne ressentaient pas le besoin de se nourrir. Pourquoi leur permettre d’assimiler des nutriments, s’étonne l’inspectrice ?
– Simplement, pour que leurs fonctions vitales singent à 100 % les humanoïdes. La réalité réside dans le fait que la population désire que les androïdes lui ressemblent aussi religieusement que possible.
– Disposent-ils de l’aptitude à se reproduire ? Je parle des mécanismes optimisés évidemment, reprend la policière.
– Non ! En aucun cas. Il s’avère exact qu’il y a plusieurs générations en arrière certains scientifiques aspiraient à rendre praticable une conception humain-machine. Le projet avorta sous les pressions éthiques notamment. Aujourd’hui, un consensus édicte que les synthétiques ne procréeront jamais. Où positionner l’homme et sa prédominance dans l’univers ? Si les machines se voyaient déléguer ce qu’il y a de plus sacré chez l’homo sapiens, à quoi servirait ce dernier ?
– Donc, mis à part les programmes, les sentiments et la chair, vous ne changez rien, constate Gailan ?
– Oui, en gros vous saisissez le principe. Seuls les robots n’évoluent que très peu depuis des décennies. Leurs logiciels demeurent primaires et terriblement cartésiens. Cela donne vie à des situations absurdes, heureusement sans conséquence néfastes.
– Pas d’implantation organique ?
– De quoi parlez-vous inspecteur ?
Le policier, après une seconde d’hésitation, se décide à dévoiler leurs récentes et macabres découvertes. Il occulte avec soin les détails importants. Le PDG éprouve — apprend —, ainsi, que des tissus, munis de puces diverses, équipaient un corps humain. Ces novations ne constituaient pas des implants classiques qui luttent contre le diabète ou autre maladie par exemple. Ils s’imposaient comme des améliorations artificielles fonctionnelles, altérant la nature biologique des organes.
– Je comprends. Je vous assure que nous n’effectuons pas ce genre de chose ni d’expérience de cette sorte. Nos portes restent ouvertes. Si vous éprouvez le besoin d’enquêter dans nos locaux, sans aucune restriction cela va sans dire, revenez à loisir.
– Connaissez-vous une personne capable de réaliser ces pratiques, demande Hermeline ?
– Je pense de prime abord à Ferragus. Il travaillait, autrefois, sur des implants destinés à éviter tout rejet de prothèse. Aujourd’hui, il exerce comme entraineur de Death Ball, sa reconversion a par ailleurs parfaitement réussi. Vous gagnerez à lui rendre visite, son carnet d’adresses répondra à vos questions.
– Excellent, nous le contacterons ; de quel club s’occupe-t-il ?
– Les Death Angel, ils jouent, ce soir, justement.
Nous parlons là, de la meilleure équipe de ce sport, depuis, des années ! réagit Hermeline ravie.
La conversation ne s’éternise pas. Les deux policiers prennent congé du PDG de Cybertech, non sans oublier de le remercier. Ils s’éloignent.
– Sont-ils partis ? questionne une voix, dans un discret murmure à l’attention d’Achaiah, posté devant la baie vitrée, donnant sur le parking.
– Ils montent dans leur véhicule. Vous pouvez parler librement.
– D’accord, comment se déroule le déploiement des remplaçants ?
– Ils se dispersent un peu partout avec une redoutable efficacité. Ils remplissent leur rôle à la perfection, ne craignez-vous pas qu’ils se fassent repérer ? Après tous les incidents comme celui du spatioport qui a failli en dévoiler deux.
– Aucune importance. Laissons-les. Ils s’épuiseront à courir après des chimères, et à s’emmêler les pieds. Après tout, les cyborgs ne constituent que des appareils bâtards. Ils nous servent pour le moment et ne doivent pas être découverts, mais d’ici quelques jours cela ne présentera plus aucune gravité.
Le PDG claque deux fois des doigts. Un androïde féminin vêtu de façon frivole apparait aussitôt. Elle se cale derrière Achaiah. La machine entreprend un massage des épaules avec une dextérité digne d’un professionnel.

– Ils s’intéressent néanmoins à ces modèles, pour eux, encore inconnus.
– Sans importance. Notre organisation s’éloigne de leurs champs d’investigation au fur et à mesure qu’ils penseront s’approcher du but. Nous laisserons agir le temps, leur propre enquête les dévie de nous inexorablement.

La synthétique s’arrête devant le PDG et disparait sous son bureau. Le bruit du « zip » caractéristique résonne.
– Méfiez-vous quand même, il demeure impératif que notre plan se maintienne secret jusqu’au bon moment. Ce n’est qu’une question de jours certes, mais tout perdre au dernier moment s’avèrerait catastrophique.
– Bah ! Excellente déduction. Je vous demande de commercialiser des robots sexuels uniquement pour réaliser une diversion. Ce marché illégal vous sert de couverture. Dans le pire des cas, il vous évitera d’être relié au reste de l’opération et vous fournira d’alibi. Vous ne participez qu’à la revente de ces produits, et vous ne contribuez pas à les fabriquer, ce qui atténue les conséquences.

A suivre, Chapitre 6 : Le Death Ball
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MessageSujet: Re: Under Cover   Under Cover Icon_minitimeMer 12 Fév - 14:47

Chapitre 6

Le Death Ball

Assis au volant, Gailan fonce vers le stade. Un match se déroule aujourd’hui. L’homme qu’il souhaite interroger, avec sa collègue, dirige l’équipe vedette du jour. Cependant, quelque chose le tracasse.

– Qui se passe-t-il ? questionne sa partenaire.
– Mon flair me dit que cet Achaiah se montre trop poli pour être honnête, il nous dissimule des éléments.
– Tu penses ? Il semblait très ouvert à la conversation ? Précise Hermeline.
– Justement. Nous représentons les autorités. Il cherche à nous donner le change. Il préside la plus imposante société de Mars. Il cache forcément des cadavres dans ses placards, l’argent amène le pouvoir, le pouvoir conduit à la corruption.
– Tu imagines le mal partout, déplore Hermeline.
– L’expérience. Je ne le vois pas blanc comme neige, ricane Gailan.
– De toute façon, nous ne disposons d’aucune preuve.
– Je le sais bien, Hermeline. Je te rassure, je n’agis jamais sur simple présomption.

Hermeline hausse les épaules. Son mentor a sans doute raison. En tout cas, il parait clair que le PDG ignorait tout des cerveaux modifiés et manquants. On peut aisément mentir, mais feindre la surprise… De plus, le PDG semblait sincère, lorsqu’il leur servit sur un plateau une piste potentielle. Pourquoi courait-il le risque de se tirer dans le pied ?

– Que connais-tu sur le Death Ball ? demande le détective, peu au fait de ce sport.
Il prend la bretelle de droite, roule ainsi sous une passerelle éclairée. Une énième pub vante les cigarettes à fumée colorée. Tu paraissais enchantée d’enquêter dans ce milieu, continue-t-il.
– Pour tout te dire  : oui ! J’adore ce sport créé sur Mars. Je te résume en quelques mots son déroulement et sa philosophie. Deux équipes de huit joueurs se mesurent dans un combat sanglant, tout en évitant des petites billes d’acier projetées à une vitesse effrayante. Cela provoque beaucoup de blessés, et, parfois, des morts. Seules les armes restent interdites. Les participants doivent parvenir à mettre, dans les buts adverses, une balle. On ne marque que peu de points dans les matchs. Il s’agit surtout d’affrontements et d’esquives, explique Hermeline.
– Un jeu barbare, souffle de dépit Gailan.
– Je ne doute point de cela.
– Les capitaines des équipes de ce soir se nomment Angel et Onisuka.
– Angel ? La jeune fille de 18 ans ?
– Tu la connais ?
– Exactement. Tu parais bien renseigné, pour une personne qui trouve ce sport barbare.
– Je lis les journaux.
Ils continuent leurs progressions vers le stade. Pris dans les bouchons du centre-ville, Gailan s’énerve. La sirène de son véhicule ne sert à rien, sauf à exacerber l’impatience des autres conducteurs, il la coupe. Un Krrr grésille dans le hautparleur de la radio.

– Inspecteur ?
– Je vous reçois : quatre sur cinq.
– Une série d’explosions vient de se produire près de l’hôpital général Louis Pasteur. Il nous faut des renforts, pouvez-vous nous rejoindre rapidement ?
– Négatif. D’après le GPS, nous nous situons à l’opposé de votre position, et coincé dans des embouteillages ! Nous nous rendons au stade pour notre enquête.
– Vous allez peut-être croiser Angel, la chance !
– Ce n’est pas au programme.
– Si vous pouvez m’obtenir un autographe je… aïe !
– Que se passe-t-il ?
– Ici, le commissaire, je remets les idées en place de votre collègue. Comment avance votre enquête ? Agissez rapidement. Je me retrouve avec un bordel sur les bras, je ne vous dis pas.
– Pour info, notre plan, du couple d’amoureux a avorté, suite à notre rencontre avec le PDG, sur le parking. Néanmoins, les renseignements recueillis nous entrainent sur une piste différente. Nous ne considérons pas que le patron de Cybertech blanc comme neige. Toutefois, à ce stade de l’enquête nous pouvons l’écarter complètement de ce qui se trouve au labo. À ce sujet, nous ignorons toujours le nom…
– Je vous la présenterai ultérieurement. Je reconnais que j’ai omis ce détail. À ma décharge, une fois plongée dans son travail, notre légiste n’accorde d’importance à rien d’autre… Poursuivez vos investigations. Tenez-moi au courant de tout. Je ne pense pas que nous nous retrouverons ce soir pour en rediscuter, aussi, je vous attends demain.
– Entendu. Bon courage, chef.

La communication cesse, laissant la dernière phrase de l’enquêteur se perdre dans le récepteur. Il leur faut encore vingt minutes de patience pour se frayer un chemin jusqu’à leur objectif. Hermeline adresse des signes amicaux à certains supporteurs revêtus de maillots qui arborent une plume et une auréole.

Malgré le drame qui se joue, en ville, les activités demeurent d’actualité. Éprouver une peur pour une chose incontrôlable et annuler les manifestations, donne trop de pouvoir aux terroristes. Conserver des festivités contribue à limiter leur ascendant virtuel sur la population. Aussi, des holoécrans géants, disséminés dans les rues, informent les gens de tous les évènements. Mais pas seulement, ces écrans incitent les citoyens à davantage de vigilance ; ils conseillent de ne pas céder à des psychoses irrationnelles et donc de participer aux activités prévues et maintenues.
La foule de supporteurs s’amasse déjà aux abords du complexe sportif. Lorsqu’ils arrivent enfin dans l’enceinte du stade, ils se retrouvent parqués comme des bestiaux par des CMS. Les Compagnies Martiennes de Sécurité attendent par groupes aux endroits stratégiques un quelconque débordement. Leur présence se veut dissuasive, rassurante et utile aux spectateurs à la recherche de leur place. Leurs effectifs réduits, face à des milliers de fans tout excités, ne résisteraient pas en cas de pépin.

Une fois parvenus à se garer, avec de grandes difficultés, les deux policiers jouent de leur badge pour accéder jusqu’aux locaux des équipes. Les vigiles, en faction devant les vestiaires, leur apprennent où se trouve l’entraineur Ferragus. L’individu vocifère des consignes d’une voix puissante, elle filtre à travers la porte. Les gorilles s’effacent pour les laisser entrer visiblement ravis d’indisposer le coach.
– Monsieur Ferragus ? demande Hermeline à l’adresse d’un homme avoisinant les 2 m de hauteur, le corps singeant étrangement une armoire. Difficile de comprendre comment un tel monstre s’adonna à la cybernétique.
– Quoi ? Vous ne réalisez pas que nous préparons un match ? Toi ! Arrange-moi ces protections ! Tu veux te péter les chevilles ?
– Nous appartenons à la police, nous souhaitons vous poser des questions, formule Gailan avec patience.
– Ça me fait une belle jambe, sacrebleu ! Tenez, embarquez-moi ces billets et venez me parler après la rencontre. Angel ! tu conserves tes baskets, aujourd’hui ?
– Les chaussures sponsorisées me ralentissent et me font perdre de la souplesse. Ne vous inquiétez pas, coach, je m’occupe d’Onisuka.
– À quoi ça sert de vous fournir des équipements si… enfin, comme tu veux ! Vous comprenez vous autres ? Elle vous dégagera le chemin, alors ne mollissez pas ! Que faites-vous encore ici vous deux ? Tirez-vous dans les tribunes, nom de Dieu ! Suis-je le seul pour prendre ce match au sérieux ?
Le stade de 70 000 places s’emplit rapidement. Les supporteurs arborent les couleurs de leurs équipes respectives, plume et auréole ensanglantée pour les Death Angel contre les étoiles noires des Dark Star. Ce sport n’existe que sur Mars. Ce dernier, trop violent, ne survécut pas à la censure sur Terre ; elle-même, pourtant, instigatrice d’autres divertissements scabreux. La planète rouge demeure un monde de liberté, exempte de toute restriction.

Au centre du stade, à la place de la traditionnelle pelouse verte impeccablement tondue, se dresse une sphère transparente de 121 m de diamètre, entièrement jouable. Le mastodonte d’une rondeur parfaite possède une cage au but à chacune de ses extrémités, matérialisé par une ligne circulaire holographique. Le reste de la structure porte de discrets tubes d’acier, ces conduits servent à projeter les Death Ball de façon aléatoire.

Les deux équipes s’échinent à esquiver les projectiles, de petites billes de métal de la taille d’une phalange, tout en s’affrontant. Les miniballes frappent sans pitié les joueurs ; elles leur arrachent parfois un membre. Tout demeure permis, sauf l’utilisation d’arme et les coups intentionnellement mortels. Cela semble paradoxal dans un sport où l’arène elle-même vous tue, j’en conviens volontiers.
Observer des joueurs munis de prothèses cybernétiques ne constitue rien d’inhabituel ; presque tous possèdent, une jambe, un bras ou une main synthétique à l’exception d’Angel. Le match ne souffre aucune limite de temps. Il offre aux spectateurs des actions uniques et inattendues. En général, lors des heurts, un seul des protagonistes reste debout ; celui, qui se retrouve hors de combat, concède un point aux adversaires. Un score de douze permet de gagner.

Une balle noire de 20 cm participe également à l’affrontement. Elle se projette dans les cages du camp ennemi ; l’auteur du but apporte 2 points à son équipe. Cette balle peut toutefois servir directement sur les opposants ; ses 2 kg causent des lésions sérieuses, d’où les armures en kevlar portées.
Le stade finit de se remplir. La piste de jeu, disons plutôt l’arène, s’illumine d’une forte clarté. Elle éblouit le bâtiment dans son ensemble. L’ambiance s’installe accompagnée d’une musique entrainante et des cris des supporteurs. L’inspecteur et sa partenaire peinent à rejoindre leur place ; Ferragus leur avait octroyé des billets VIP. Ils se retrouvent tous deux dans une loge privée. Sa baie vitrée donne directement sur le champ de bataille. Ils ne perdront, ainsi, aucune miette du match pour le grand plaisir d’Hermeline.
– Bonjour, mesdames et messieurs ! Ici Flyod ! Je suis, ce soir, secondé par mon ami Pao ! Nous vous accompagnerons durant ce match, qui promet des sensations fortes !
– Salut, Flyod. Aujourd’hui, nous assisterons à un duel de titans ! Les Death Angel rencontrent les Dark Star ! Les deux grandes équipes de Death Ball ! La belle, que dis-je ? La sublime Angel contre le génial Onisuka !
– Cela laisse déjà entrevoir un affrontement de légende !
– Angel, la déesse du Death Ball, l’unique joueuse à ne jamais avoir été blessée, ses réflexes et sa souplesse restent inégalables !
– Onisuka, pourvu d’un bras bionique, s’impose comme le seul à avoir réussi à stopper une Death Ball durant sa course ! Un exploit jamais réitéré par quiconque !
– Ah ! Flyod, nous approchons du coup d’envoi ! Les équipes entrent dans la sphère. Tiens ? Angel porte de simples baskets pour ce match. Elle prépare quelque chose, je présume !
– Inhabituels en effet, d’habitude tous les pratiquants enfilent des rangers renforcés. Et voici son adversaire du jour, le grand Onisuka. Il salue le public avec son bras droit, celui-là même avec lequel il a stoppé la mortelle bille d’acier ! Je tiens à rappeler pour les novices que seul son bras gauche et artificiel, ce qui en révèle long sur ses exploits !
– Tout à fait, cet homme devient une légende pour tous. Tout comme Angel, car elle n’a jamais été mise hors combat, ce qui fait d’elle une cible particulièrement alléchante. Le joueur parvenant à la battre s’assurera une gloire sans pareil.
– Je lui souhaite bien du courage, Pao, ainsi qu’à Angel.
Les adversaires s’installent à leurs places respectives. Les capitaines se positionnent face à face pour la poignée de main traditionnelle et la captation de la balle d’engagement. Onisuka affiche un rictus narquois à son homologue féminine, qui de son côté exhibe une désinvolture troublante.
– Allez ! Un petit sourire, Angel ! Ce n’est qu’un sport, donne-leur-en, pour leur argent ricane Onisuka.
—...
– Toujours très loquaces, enfin.
L’homme hausse les épaules et serre la dextre de sa rivale. Les photographes mitraillent de toute part. Ils quittent le terrain et le coup d’envoi retentit. Une dizaine de secondes s’écoule et un cri résonne. Le match suspendu. Une équipière d’Onisuka se tient l’avant-bras, sa main gisante à même le sol, arrachée par une death ball encore fichée dedans.
– Eh ! bien, Flyod, les lésions en tout début de rencontre restent rares. Voilà, qui va ficher un coup au moral des Dark Star.
– Tout à fait, Pao. La dure loi du sport ! Toujours demeurer sur ses gardes, voilà la première règle.
Les infirmiers installent la victime sur une civière, tandis que déjà le remplaçant se place dans l’arène.
– Les Dark Star font entrer Calais, un choix judicieux. Cet équipier ne possède plus aucun membre naturel. Angel a intérêt à se méfier. La résistance, de cet athlète, à la douleur s’avère impressionnante. Je ne l’ai jamais observé verser une larme ou pousser un cri à chacune de ses blessures.
– Très juste, Flyod. Ce remplaçant dispose également d’une excellente vitesse et de nombreuses parades animent sa façon de se battre, attention aux clés.

Les vociférations et chants des supporteurs redoublent. Des holofumigènes tintent le stade de rouge, d’or et de bleu nuit. Lancés à pleine vitesse, au niveau de la ligne médiane, les joueurs se percutent tout en esquivant les projectiles mortels. Leurs anticipations, décuplées par la peur d’un impact fâcheux, relèvent du miracle ou de l’extraordinaire. Une bille rebondit sur la paroi pour se diriger sur Angel, toujours immobile, depuis le coup d’envoi.

Impavidement, la jeune femme observe les faits et gestes de ses compagnons et de ses opposants. La petite balle d’acier la frôle sans qu’elle lève un cil. Le public rugit de satisfaction, excité par cet instant d’incertitude sur l’avenir de la joueuse et son stoïcisme face au projectile. À sa gauche, deux des siens testent leur karaté sur deux adversaires. Les mouvements s’enchainent, ils mêlent attaques et parades. Parfois, un coup porte, il fait alors voler une dent ou une giclée de sang, cela galvanise davantage la foule.

À sa droite, sur la seconde ligne de démarcation deux autres acolytes infligent un K.O. à un défenseur. Leur intention semble claire, ils essayent d’atteindre la zone d’en-but. La balle de match en leur possession, ils vont tenter de marquer. Onisuka singe Angel et ne bouge plus. Les bras croisés, il observe le déroulé de la rencontre. Il analyse les points forts et faibles des Death Angel.

Gailan encore troublé par la violente mutilation de la joueuse ne parvient pas à saisir l’objectif d’un tel sport. Sa partenaire, elle, semble captivée par le spectacle. Elle scande même les chants d’encouragement pour l’équipe d’Angel, qu’elle ne quitte quasiment pas des yeux. Sauf, quand ses coreligionnaires manquent la première occasion de dominer la partie.
– 3 à 0 pour les Death Angel, un K.O. et une cage de buts sans défense, récapitule Flyod. Seulement cinq minutes de jeux.
– Que va tenter le grand Onisuka ? Il semble comme paralysé tout comme Angel depuis le début du match et… regardez, Calais ne gaspille pas de temps, il assène une superbe manchette à son rival.
– Ouf ! Il l’a senti passer celle-là.
La rencontre s’intensifie. Les billes d’aciers fracassent la prothèse d’un compagnon d’Angel au niveau du genou et l’obligent à quitter le terrain. Calais, lui-même, y perd son bras artificiel droit. L’équipe d’Onisuka ne dispose plus de remplaçants et elle se retrouve avec un joueur de moins et encaisse un but supplémentaire.
– 5 à 1 pour les Death Angel, rappel Pao aux supporteurs.
– Tout à fait, Pao. Angel se met en branle. Elle fonce sur Onisuka. Surtout, ne la perdons pas de vue ! Elle va sans nul doute, nous offrir une de ses illusions dont elle a le secret.
– Que nous réserve-t-elle cette fois-ci ? L’illusion 1 ? 2 ou encore 3 ?

La jeune femme arrive à la hauteur du capitaine adverse. Onisuka se place en position de combat. Le poing d’Angel s’abat avec une extrême violence, brisant la garde de l’homme. Par prudence, il recule et effectue un pas de côté pour esquiver le second coup. Angel continue son assaut, sans état d’âme, elle tente un coup de pied rotatif qui se perd dans le vide. Cette action provoque un hurlement unanime des supporteurs.

Un agrandissement d’une des caméras montre la jeune fille, en train de sourire. Elle se met en boule et roule au sol jusqu’au pied de son adversaire. Les mains plaquées bien à plat, elle se propulse dans les airs, à la force des bras, ses talons rencontrent la mâchoire du capitaine.

Le coup asséné s’avère si puissant, que le corps de la victime décolle de 30 cm au-dessus du terrain. Pas si mal, pour une jeune fille de 55 kg, contre un gaillard de 100 kg de muscles. Avec une rapidité féline, Angel, déjà debout, saute et frappe avec son coude le ventre du malheureux adversaire. Le grand Onisuka tombe à genou les yeux exorbités et la mâchoire ensanglantée, certainement brisée. Il reste amorphe.
Angel marque un point supplémentaire. La civière s’empare de l’évanoui, sous les yeux de la foule en délire.

Angel parfaitement immobile prend le temps de jauger la situation, 6 à 1, son équipe possède un gros avantage. Elle esquive une bille d’acier vicieuse qui tente de la frapper en pleine tête. Elle la laisse se perdre à l’autre bout de la surface de combat.

– Quelle raclée !
– Et quelle rapidité, Flyod ! Quelle souplesse ! il n’y a pas à dire, ce petit bout de femme s’impose comme un phénomène. Le grand Onisuka n’a même pas compris ce qu’il lui arrive !
– Tout à fait, Pao, tout à fait. Il vaut mieux ne pas provoquer sa colère, de celle-là, ricane Flyod.

Angel adresse un signe à ses équipiers pour qu’ils réalisent une passe à son intention. Elle se met sur la pointe de pied. Des ailes holographiques, une queue et des oreilles de chat se muent sur son corps. Elles épousent ses mouvements. Tandis qu’elle effectue un retourné acrobatique, ses élytres virtuels semblent la maintenir en vol pour de bon. Elle frappe la balle, en plein vol, qui fonce sur Calais, et brise son tibia cybernétique gauche.

L’homme hébété, un bras et une jambe inutile, abandonne, contraint de rejoindre son capitaine hors du terrain. Le projectile propulsé par la jeune femme termine sa course dans les cages adverses. Un coup à 3 points, un but, et un joueur éliminé. Il force l’arbitre à siffler l’issue du match faute de combattants, il disqualifie donc les Dark Star. Score final 9 à 1, la joie des supporteurs éclate comme le tonnerre.

Angel, recouvre son apparence. Elle lève le poing en l’air et quitte l’arène pour rejoindre les vestiaires. Pendant ce temps, le reste de l’équipe effectue un tour d’honneur en jetant leurs maillots et protections aux fans ravis. Ferragus vocifère des injures à ses joueurs, leur intimant de conserver leur matos, à cause de son cout.

– Quel match ! Pao. Une fois encore Angel s’impose sans que personne l’arrête.
– Sans surprise Flyod. Les favoris gagnent, même le génial Onisuka n’arrive pas à briller contre elle.
– Et quel retourné extraordinaire ! Je découvre ce mouvement. Je me demande ce qu’elle va trouver pour la prochaine fois !

L’inspecteur se lève et tapote l’épaule Hermeline qui effectue de grands gestes vers les joueurs. Elle réussit à capter leur attention sans que Gailan sache comment. Tous deux descendent aux vestiaires. Les locaux subissent les assauts des journalistes désireux d’interviewer Angel et de prendre des photos des vainqueurs. Ferragus, tout sourire, invite d’un signe les deux policiers, à le rejoindre. Il déclenche les protestations et les insultes de la presse.

– Accordez-moi, encore, un instant. Le temps pour moi, d’évaluer les dégâts causés par le match sur mes joueurs. Angel ? interpelle Ferragus.

La jeune femme déjà douchée se change, en un clin d’œil. Un jogging bleu, des baskets blanches et sa coupe de cheveux au carré lui donnent l’apparence d’une adolescente férue de course à pied. Elle s’éloigne en direction de la sortie.

– Quoi ? Demande la jeune sportive.
– Tu ne fêtes pas la victoire avec nous ?
– L’après-match m’indiffère complètement. Je préfère rentrer, de plus, je désire m’entretenir avec quelqu’un.
– Bien, bien, soupire l’entraineur impuissant. Habitué aux caprices de sa star.
Dans le vestiaire, le reste de l’équipe danse, chante et se chamaille. Fous de joie, ils se pavanent comme des paons. Pendant ce temps, les blessées reçoivent des soins ou bénéficient d’un remplacement de leurs prothèses. Seule la sportive amputée de la main durant la rencontre brille par son absence. Hospitalisée, elle subit une greffe, au moment même : elle se retrouve dotée de son second membre artificiel. Ferragus parle sommairement à ses joueurs, Hermeline en profite pour obtenir gracieusement des maillots dédicacés.

– Je vous écoute, merci de votre patience, inspecteurs.
Gailan lui explique, alors, les raisons de leur venue.
– Je comprends, reprends le coach, malheureusement je regrette de ne disposer d’aucun renseignement à vous donner. Cette époque me semble si lointaine, le spécialiste d’autrefois n’existe plus, mis à part les prothèses modernes, mes savoirs se révèlent très limités aujourd’hui.
– N’étiez-vous pas un précurseur de ce mouvement du surhomme, si j’ose dire ? s’exclame Gailan.
– Du tout. En réalité, je me considère comme un simple porte-parole. La personne, que vous cherchez, se nomme Inamori Moto. Mais elle n’appartient plus au monde des vivants depuis des années déjà.
– Vous ne connaitriez pas un quidam capable d’effectuer ce genre de chose clandestinement ? interroge Hermeline.
– Je crains que non. Je n’ai plus de relation dans ce milieu depuis que j’évolue dans la sphère de ce sport.
– Je vous laisse ma carte. N’hésitez pas à m’appeler même pour un détail semblant insignifiant, merci, monsieur Ferragus, précise Gailan.
– Je reste à votre disposition.

La tête pleine de questions, les enquêteurs reprennent la route. Hermeline communique un rapport précis au commissaire durant le trajet.

– Je comprends.
– Et de votre côté, chef ?
– Rien. Les corps retrouvés paraissent normaux, qu’ils soient humains ou synthétiques. On dénombre juste plus d’androïdes que la dernière fois, je ne sais dire, s’il s’agit d’une consolation.
– Et la situation sur Terre ?
– Identique, peut-être même pire. Les explosions se poursuivent, mais les enquêtes piétinent. J’en deviens fou. Quelqu’un joue aux échecs et nous constituons les pions. Quelque chose nous échappe surement. Rentrez chez vous. Vous venez de passer une longue journée. Nous nous en parlerons demain, la nuit porte conseil.

Après un interminable trajet en silence, ils arrivent enfin chez eux. Le petit immeuble baigne sous la lumière du Soleil déclinant.

– Merde ! Cri Hermeline en sortant du véhicule, les bras chargés des maillots de son équipe favorite.
– Quoi ?
– Ma Findus ! elle se trouve au commissariat ! Je projetais d’effectuer des courses.
– Veux-tu que je t’y amène ?
– Non, merci. Je commanderai à un fastfood.
– Ça me va, émet une voix, derrière eux. Ils se retournent et aperçoivent Angel, le visage ruisselant de sueur.
– Vous ? Mais, vous vous déplacez aussi vite à pied que nous en voiture, formule l’inspecteur surpris.
– Moi, j’évite les bouchons. Voilà donc nos nouveaux voisins ?
– Euh… oui, ne me dites pas que vous habitez ici ?
– Moi ? Non ! Ma grand-mère : oui ! Elle vous décrit comme un charmant jeune couple venant d’emménager. Elle se réjouit de côtoyer du sang neuf dans l’immeuble.
– Seulement des collègues de travail. Rien d’autre, répond Hermeline, les joues légèrement roses.
– Sacrée coïncidence, constate Gailan.
– Le monde s’avère petit inspecteur. Suivez-moi, nous mangerons chez ma mamie. Elle s’enthousiasmera d’avoir de la visite. Elle vieillit et je ne parviens pas à la choyer autant que je voudrais.

Hermeline fouille frénétiquement son sac pour sortir le maillot d’Angel. L’enquêtrice brandit par enchantement un marqueur noir et elle se signe une dédicace, à la grande surprise de Gailan et de l’intéressée.
A suivre, Chapitre 7 : Inamori Moto
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MessageSujet: Re: Under Cover   Under Cover Icon_minitimeMer 19 Fév - 14:45

Chapitre 7

Inamori Moto

Ils entrent dans l’immeuble, Angel adresse une mimique bienveillante à la vieille dame. Cette dernière joue au planton sur sa chaise, devant la porte de son appartement. Gailan et Hermeline promettent de venir diner. Ils souhaitent préalablement se livrer à quelques ablutions et changements de tenue.

À l’idée de recevoir une visite autre que familiale, la vielle sourit largement, avec un plaisir non dissimulé. Elle dévoile une rangée de dents naturelles et étincelantes, chose rare chez les personnes âgées. Elle réintègre son logis avec une vivacité surprenante en leur assurant un repas délicieux. Sa petite fille lui emboite le pas.


– Je n’en reviens pas, s’enthousiasme Hermeline.
– De quoi ? Gailan ponctue sa question d’une mimique interrogative.
– De l’invitation à manger avec Angel. Génial, non ?
– Ne t’excite pas ! Tu vas laisser tomber tes maillots. Mais, j’avoue que j’en profiterai pour lui demander, comment crée-t-elle ses illusions ?
– Ses ailes, etc. ? Elle porte des micropuces holographiques sur sa combinaison, même si je reconnais que les utiliser en combat reste une sacrée prouesse.


La discussion les mène devant leur appartement respectif, où ils se séparent. Chez elle, Hermeline s’acharne sur un carton pour en extraire diverses tenues, dont une robe noire échancrée. Elle range le tout dans la penderie et la commode de sa chambre à coucher. Un peu plus tard, elle se dirige dans la salle de bain et prend soin de déposer délicatement la chlamyde — robe — sur un cintre.

Hermeline ne dispose pas les moyens financiers de s’offrir une de ses douches modernes à particules. La jeune femme utilise le mécanisme à eau, équipant son logement de fonction. Elle se dévêt et réalise qu’elle porte toujours son automatique.

Nue comme un ver, elle traverse l’appartement. La différence de température de la pièce lui provoque une chair de poule. Cette réaction dermique s’installe sur l’intégralité de son corps, aux formes généreuses. Sa poitrine ferme bondit gracieusement à chacun de ses pas. Elle s’accroupit devant son coffre à armes. Hermeline retire le chargeur, contrôle la chambre par précaution et pose son P-226 sur l’étagère supérieure. Son sein droit rencontre alors la porte métallique et glaciale, elle pousse un petit cri de surprise.
Hermeline se redresse, et verrouille l’armoire. Elle se frictionne le haut du corps pour se réchauffer et gagne la salle de bain. Une fois sous l’eau chaude, elle se détend. Elle laisse le liquide perpétrer ses assauts sur son visage et ses épaules. L’onde glisse sur ses hanches et meurt dans la bouche d’évacuation.

De son côté, Gailan allume sa radio. Une pile de cartons construite par Reg lors de son ménage, en équilibre précaire, vacille. La pyramide profite d’un moment d’inattention pour aller se promener sur le sol, en grand fracas. Elle répand de la vaisselle brisée un peu partout ainsi que quelques cristaux à film. Il hausse les épaules.


– Reg, occupe-toi de la casse.
– Avec plaisir. Les propulseurs du robot l’emmènent au niveau des assiettes et verres disloqués. Il commence à tout rassembler, tandis que Gailan se dirige vers la salle de bain.


L’émission radiophonique revient sur le match du jour et sur l’attentat. Les explosions devenaient monnaie courante ces derniers temps. Au début, des foules, en colère, pointaient du doigt l’État. Elles prirent comme boucs émissaires ses représentants, puis les flics, et finalement les religions. Les peuples n’arrivaient pas à se décider sur les responsables qui serviraient d’exutoire. L’émission relatait la présence de petits groupes de manifestants se réunissant autour de buchers où ils jetaient des robots humanoïdes. Les androïdes devenaient les nouveaux coupables à accabler.

À ce jour, toujours aucune revendication, aucun mobile, aucune piste concluante pour caractériser ces comportements terroristes. Bref, seul le néant entoure ses actes aussi obscurs qu’odieux. Même les médias commencent à bouder ses évènements. Elles préfèrent argumenter et extrapoler sur les scandales de quelques stars. Le voyeurisme s’impose comme le moteur attractif le plus populaire et le plus rentable.

L’officier de police se désape. Sa stature d’athlète au dos large disparait dans une cabine en transpacier. Des vagues d’ultrasons fracassent toute forme de crasse. Il privilégie d’habitude la douche à particules. Elles agressent moins le corps et laissent les peaux douces. Mais, cela reste toujours mieux que ces dispositifs archaïques à eau.

Il enfile un jean, une paire de baskets beiges et une chemise étriquée. Il s’empare de son holster, par réflexe, avant de se ressaisir. Il le jette, alors, négligemment sur le sofa. L’objet s’écrase sur un coussin. Il coupe la radio et s’apprête à chercher sa voisine de palier. Quand un bruit d’eau attire son attention.


– Reg ? Mais, que fais-tu ?
– Je lave la vaisselle sale, et en petits morceaux, j’éprouve de la difficulté à la nettoyer.
L’inspecteur se tape sur le front.
– Jette-moi ça, voyons ! Tout ce fatras brisé ne sert à rien.
– Mais vous avez dit : « Reg, tu t’occupes de la vaisselle ».
– Je sais, excuse-moi, je veux dire, élimine ce qui est casé et range le reste.
– Entendu. Le petit robot s’exécute.


Gailan retenant son envie de rire, quitte son antre, pour frapper à celle de sa voisine.

La porte s’ouvre, la femme vêtue de sa robe noire se détache. Un léger maquillage souligne ses yeux. Ils apparaissent plus scintillants. Ses cheveux lissés mettent en valeur son visage aux traits fins. Gailan reste bouche bée. Il l’a trouvée belle dès sa première rencontre, même avec son costume soft d’hôtesse de l’air. Là, dans cette tenue sa plastique se voit sublimée.


– Tu resplendis, articule-t-il à son attention.
– Je sais, répond-elle satisfaite.
La flatterie et les femmes vivent un grand amour, si peu secret.
– Allons-y, décide Gailan.
– Tu descends comme ça ?
– Ben, il ne s’agit que d’un repas entre voisins.
– Tu n’as pas déballé tes affaires, je présume. L’inspecteur pris de court balbutie un « si » fort peu convaincant. Ne t’en fais pas, je te donnerais un coup de main. De mon côté, j’ai presque terminé de m’installer, déclare Hermeline.


Ils descendent les escaliers désormais familiers. Arrivés au rez-de-chaussée, ils s’étonnent de voir la grand-mère toujours assise sur sa chaise. L’aïeule demeure fidèle au poste, qu’elle s’est elle-même attribuée. Un sourire illumine son visage.


– Je vous en prie, entrez, venez. Je me réjouis de votre visite. La voix chevrotante de la mamie exhale quelque chose d’engageant et de chaleureux. Une intonation typique des personnes âgées joviales.
– Merci bien. J’espère que nous ne vous avons pas donné trop de mal.
– Pensez-vous, ma chère ! La vielle s’installe au bras de l’inspecteur. J’aime recevoir de la compagnie. Malheureusement, Angel ne me rend pas visite autant que je le souhaiterai. La faute incombe à son travail barbare.


L’appartement dégage une subtile odeur de fleur séchée. L’entrée s’ouvre à droite sur une cuisine. Un peu plus loin, un corridor conduit aux chambres, à la salle de bain et aux toilettes. À la gauche du seuil du logement, un cellier regorge de conserves, de pâtes et de boissons diverses. Il semble là, pour défier toute famine qui voudrait s’imposer. Par son abondance arrogante, il brave d’improbables affameurs. Enfin, au bout du couloir débouche sur le salon.

La vieille femme au bras à Gailan l’incite à accompagner jusqu’à son rocking-chair. Elle invite, ses hôtes, à s’assoir sur le divan. Angel fait tinter de la vaisselle, elle remplace, sans nul doute sa mémé aux fourneaux. Pendant un temps, un mutisme timide s’installe. Le silence habituel de ces personnes qui se rencontrent pour la première fois et qui attendent que quelqu’un lance la conversation. Angel prend la situation à bras le corps et brise la glace.


– Je vous souhaite la bienvenue. Oh ! votre robe, quelle merveille ! Lève-toi, que je puisse mieux la voir, s’il te plait.
– Bien sûr, minaude Hermeline.


Hermeline se dresse et tourne lentement sur elle-même, avec coquetterie, au grand plaisir d’Angel.
L’inspectrice ne souligne pas le vouvoiement et le tutoiement circonstanciels qu’utilise la célèbre sportive à son endroit. Hermeline ne sait visiblement pas trop comment aborder ce sujet.


– J’aimerais bien en posséder une comme ça ! La jeune fille s’habillait sempiternellement d’un jogging, différent, certes, mais proche de celui qu’elle portait plus tôt.
– Sur Internet, nous trouverons des soldes en ce moment, passe me voir si tu veux, propose Hermeline.
– Entendue, je n’y manquerais pas. Vous désirez boire quelque chose, demande Angel ?
–  Un jus de fruits, murmure Hermeline.
– Inspecteur ?
– Appelle-moi Gailan, la même chose, volontiers Angel, merci.
– Il reste de la Suze ? Questionne la grand-mère avec un œil pétillant de gourmandise.
– Je t’en sers un verre, susurre Angel.


L’apéro commence et délie les langues. Gailan mal à l’aise, cerné par un clan féminin, se prend d’affection pour la vieille. Ils échangent leurs souvenirs. Lui parle de son enfance polissonne et elle évoque son expérience d’infirmière durant la troisième guerre mondiale. Un conflit orchestré par les É.-U., à l’époque. Touché par les histoires de la grand-mère, l’inspecteur écoute patiemment, même quand elle radote un peu.

Les deux femmes s’entendent bien également et rient aux éclats, parfois en jetant un œil à Gailan. Elles échangent leurs ressentis sur le Death Ball. Hermeline réussit à lui extorquer un second autographe.


– Nous enquêtions au stade, enfin, tu le sais, coquète la jeune policière. J’ai été émerveillée de découvrir tes ailes, il s’agit de ton illusion n° 4, je crois ?
– Officiellement oui, mais en réalité, non, seulement la 2. Nous la présentons comme la quatrième. Le public revient, espérant chaque fois en voir de nouvelles. Cela relève de la pure mercatique. Les hologrammes coutent très cher. Je possède des élytres d’insectes et le chat qui me donnent ses oreilles et une queue, ça fait plaisir au geek.
– Donc, tu jongles avec les deux ou tu les fusionnes ?
– Précisément, constate Angel.
– Comment parviens-tu à les actionner durant les affrontements ? Plus exactement, Gailan voulait te poser la question, mais, comme il est occupé, je t’interroge à sa place ! Je pourrais l’en informer plus tard.
– Dans mes gants de combats, j’ai installé des capteurs. L’ensemble se déclenche selon ma manière de fermer les poings, mais ne le répète à personne. Angel lui adresse un clin d’œil.


Ils s’attablent. Une salade Ceasar en entrée. Un poulet rôti, sur un lit de pommes de terre au vin blanc et aux herbes, cuit au four, constitue le plat principal. Une tarte à la rhubarbe lui succède comme dessert. Les mets simples se révélèrent de véritables délices. Les invités repus s’interrogent sur le maitre queux. Ils ignorent à qui d’Angel ou de sa grand-mère, attribuer cette excellente soirée.

Gailan retourne sur le sofa et reprend sa discussion auprès de la vieille dame. Elle ne s’est jamais départie de son sourire depuis leur venue. Les filles s’éclipsent dans la cuisine après avoir débarrassé la table.


– Sur quoi enquêtez-vous, inspecteur ?
– Sur les attentats. Nous devons y mettre un terme, tant de personnes disparaissent, fauchées sans fondement.
– La vie s’ôte toujours sans raison, croyez-moi. Je conçois que cela vous horripile. Durant la dernière guerre, notre hiérarchie prétendait que les combats se justifiaient afin de protéger les populations. Dans ce but, ils les faisaient bombarder… Moi, à cette époque, j’officiais comme infirmière.
– Vous sauviez des gens.
– Parfois, oui. Je n’intervenais pas seule, notre médecin-chef travaillait sous le feu ennemi, sans relâche. Elle m’a appris à modérer les ardeurs de nos supérieurs afin de freiner les attaques incessantes sur les civils. Inamori me disait : l’homme n’est pas compliqué. Il faut juste se montrer patiente et trouver la faille. Ainsi on peut sauver bien plus de vies. Ou, quelque chose de ce style. Ma mémoire se joue de moi.
– Inamori ? L’Inamori Moto ?
– Oui. Révoquée par l’armée et résistante convaincue. Elle entreprit de neutraliser les opérations mettant en péril des civils des deux côtés. Plus tard après tout ça, Inamori travailla dans le domaine de la cybernétique. Je finis par la contacter.
– J’ignorais tout cela, avoue Gailan.
– Oh ! peu de personnes connaissent vraiment son passé. Officiellement, elle demeure une traitresse, même les livres d’époque la blâment. Il ne faut jamais oublier que l’histoire s’écrit par les vainqueurs. Mais pour moi, je la considère comme une héroïne de guerre, la vielle écrase une larme, puis sourit à nouveau. Je devrais rédiger mes mémoires.
– Oui, répond Gailan, l’air songeur. Visiblement, leur suspect numéro un se révèle une personne bien complexe. Elle vouait autrefois une passion pour ses semblables.


L’inspecteur sait par expérience que ce genre de désir pousse en certains cas les gens à commettre des actes extrêmes. Mais, Inamori vit-elle toujours ? Elle approcherait au mieux les 95 ans, si elle en affichait 18 lors de la dernière guerre. Or, il ne peut concevoir qu’une personne de cet âge soit mêlée aux agissements de terreur qui se perpétuent sur Terre et sur Mars. Quelque chose cloche, il suit peut-être une fausse piste.

Certes, il convient d’approfondir ses investigations sur cette femme. Mise à part sa traitrise révélée dans plusieurs articles lus sur Internet, il n’a relevé rien d’incriminant. Paradoxalement, Ferragus, l’entraineur nous informa de sa mort. Il nous la présenta comme la responsable que nous cherchions. Décidément, rien ne colle. À moins qu’Achaiah, le PDG de Cybertech ne les aiguillât sur une fausse piste. Il doit impérativement fouiller dans les archives. Elles contiennent probablement moult indications de grandes importances. Si nous admettons qu’Inamori n’existe plus, son héritage avait surement été transmis ; peut-être que le successeur s’en servait pour perpétrer ses actes ?


– Gailan, l’interpelle la grand-mère, vous semblez songeur.
– Je vous prie de m’excuser. J’accuse le coup, et j’ai passé une journée bien trop remplie.
– Il se fait effectivement tard, je perds le fil du temps quand je me mets à radoter.


L’homme prend poliment congé, suivi par Hermeline, qui papote toujours avec Angel. Tandis qu’ils gravissent les escaliers, Gailan lui explique les tenants de sa conversation. La jeune femme en conclut également en la nécessité primordiale de fouiller les archives. Hermeline quitte son collègue sur le pas de sa porte, et lui fait une bise sur la joue.

Gailan reste coi. Pour la première fois, Hermeline fait preuve de familiarité avec lui. Mais, après tout, en dehors du travail il s’avère sans nul doute normal de se montrer un peu plus expansif. À force d’enquêter ensemble, on se rapproche.


A suivre, Chapitre 8 : Les archives
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MessageSujet: Re: Under Cover   Under Cover Icon_minitimeMer 26 Fév - 15:50

Chapitre 8

Les archives

Au petit matin, l’inspecteur, victime d’insomnie à la suite d’une intense dispute avec Morphée, achève de ranger son barda. Le ronronnement de la cafetière le tire néanmoins de cette torpeur s’invitant chez les individus perdus dans leurs réflexions. Dans un coin du salon, Reg s’efforce d’empiler les cartons éventrés afin de les jeter aux recycleurs. Ses petits propulseurs projettent en l’air, parfois un morceau du contenant.

En bon automate, l’inspecteur s’extirpe du canapé et remplit sa tasse du breuvage fumant. La radio crachote lorsqu’il l’allume. Aucun communiqué inédit depuis hier. Un court compte-rendu sur le match, un survol du dernier attentat, et l’annonce de pluies intense sur la ville.

Une fois n’est pas coutume, sa partenaire vient le chercher. Ils gagnent le hall d’entrée. Aucune présence de la grand-mère cette fois. Ils constatent avec surprise à quelle vitesse la routine s’installe dans leur inconscient. Deux jours à croiser un quidam, au même endroit, et à toute heure, et le troisième jour, en raison de son absence, elle manque à leur psyché.


– Elle doit se reposer, à son âge, les soirées épuisent.
– Probablement, rétorque Gailan.
– Allons-nous au commissariat, ou à la bibliothèque, demande Hermeline ?
– Le patron désire nous voir. Le problème réside dans le fait que nos informations se révèlent bien trop superficielles. Rendons-nous d’abord aux archives. Nous communiquerons, au chef, un rapport détaillé par la suite.
– Pas de Findus, avant ce soir, soupire Hermeline déçue.
– Je ne parviens pas à saisir ta passion, pour cette chose que tu appelles : voiture.
– Philistin ! En route, maugrée la jeune femme.


L’inspecteur hausse les épaules et empoigne le volant. Le GPS les guide à travers les ruelles sombres et malfamées de la ville.

Les façades du ghetto martien semblent surgir directement des années 1980. De temps à autre, des lanternes, aux lumières rouges, indiquent aux clients que la fille de joie du coin s’avère indisponible.
Au sol, les poubelles tentent de battre des records de hauteur ou de débordement, sous les éclairages pastel des panneaux publicitaires. Au beau milieu de cette fange, on distingue parfois une silhouette. Un spectre en haillons crasseux, aux yeux exorbités sous l’effet de quelques substances illicites ingérées.

– Eh bien ! ici comme sur Terre, certains quartiers se ressemblent, constate Gailan.
– Quelle tristesse, se désole Hermeline.
– Un aspect de la vie, hélas, déclare Gailan.
– Tu estimes cela normal de voir l’humanité dans cet état ? s’insurge la jeune femme.
– Non, évidemment que non. Surtout avec notre niveau technologique actuel, personne ne devrait se retrouver à la rue et vivre dans de telles conditions. Mais, que pouvons-nous y faire ? La question restera sans réponse, durant un long moment, prophétise l’inspecteur.

La Renault quitte enfin ce quartier, abjuré des Dieux. Les policiers roulent sur l’artère rectiligne, presque déserte. Les bâtiments de verre et d’acier défilent en une triste immobilité et s’étirent, avec monotonie, jusqu’à la bibliothèque municipale. L’établissement se dresse soudain et impose littéralement son emprise à tous. Le monstre de béton, d’une taille colossale, écrase par sa simple présence tous les immeubles avoisinants.

À ses pieds, une bouche de métro engloutit puis dégurgite, inlassablement, une foule compacte, en mouvement perpétuel. Les policiers stationnent sur le trottoir ; sortir du véhicule constitue un défi qui met à l’épreuve leur patience. Ils attendent une éclaircie dans les rangs grouillants et de plus en plus denses des passants. Les quidams se pressent vers leurs lieux de travail, la mine toujours ensommeillée, pour la plupart d’entre eux.


– Punaise ! Moi qui abhorre la foule, je suis servie !
– Agoraphobe, compatit Gailan ?
– Du tout. Seulement impatiente. Je ne supporte pas de croiser les gens qui papillonnent et qui ne savent pas où se diriger ni pourquoi ; ou encore, ceux qui s’arrêtent en plein milieu du passage, sans raison ou sans se soucier des autres, et cela juste pour discuter ou admirer un truc en vitrine, comme une vache devant un train.
– Ils se promènent, tente d’argumenter l’inspecteur, sans conviction.
– Ils cassent les couilles, surtout. Bref, allons-y ! Cherchons un gué pour franchir cette rivière !


Hermeline secoue la tête en levant les yeux au ciel et traverse la marée humaine. Gailan la suit de près. Ils parviennent non sans mal à gagner l’entrée du bâtiment. Derrière eux, la foule laisse s’échapper des volutes d’exhalaisons de toutes les couleurs. Nul doute, que si l’inspecteur eût fumé, à cet instant, une de ses cigarettes, elle tinterait en rouge intense les effluves ambiants.

Ils traversent l’immense porte en bois massif. Le calme qui règne en ces lieux les interpelle. Un silence presque religieux, brisé par des bruits de pas furtif et parfois celui de pages tournées avec précipitation. Cela trahit une présence dans les locaux.

Le guichet d’accueil circulaire siège au milieu du hall, en son centre, un androïde. La synthétique possède un corps splendide, de longues jambes graciles, une cambrure à damer un saint ; une poitrine que l’on devine douce et ferme ; une bouche aux lèvres fines ; des cheveux bruns qui tombent gracieusement sur ses hanches et appuient son regard en amande.

Une paire de lunettes coquette trône sur son visage. Une caricature sexy d’une documentaliste, telle que l’on se l’imagine dans ses informulés fantasmes. À l’approche des visiteurs, elle dévoile un sourire d’accueil un poil trop poli. Ses seins tressautent légèrement lorsqu’elle s’incline pour les saluer.


– Bonjour ! Je vous souhaite la bienvenue à la bibliothèque municipale, susurre-t-elle. Que puis-je pour me montrer agréable ?
– Bonjour, je…
– Nous désirons accéder aux archives, coupe Hermeline sèchement, visiblement prédisposée à une jalousie à peine contenue.
– Bien entendu, quel sujet vous intéresse ?
– Nous recherchons des informations sur Inamori Moto, précise Gailan.
– Disposez-vous de plus de détails, s’enquiert la machine ?
– Négatif. Seulement, qu’elle participa à l’ultime guerre ! s’emporte Hermeline.
– Un instant, je vous prie.


Quelques secondes s’écoulent, les inspecteurs remarquent un drone qui s’élève vers le dernier étage de l’immeuble, pour redescendre enserrant avec ses pinces un gros ouvrage.


– Bien, reprends l’androïde, les documents que nous possédons sur cette personne se trouvent en bas. Rendez-vous au niveau inférieur moins trois, salle B3.
– Merci, répond Gailan, la voix plus grave que d’habitude, augmentant sur le coup la frustration de sa collègue.


Ils traversent le hall en direction des ascenseurs et gagnent l’endroit indiqué. Le long corridor de ce sous-sol des lampes, à LED bleutée, clairsemées l’éclairent chichement. Au fond du couloir se détache une lumière familière à tous, symbole d’une sortie de secours. D’épaisses portes, de bois, affichent un A, ou B, ou C, suivi de chiffres, et énoncent la position des différentes divisions.


– Les archives se classent-elles alphabétiquement ? interroge Gailan.
– Va savoir comment, ils s’organisent, toi ! Il doit exister des sections de restauration, de réécriture, de numérisation, et autres, déplore Hermeline.
– Jamais, ils ne bâtiront de bibliothèques classiques. Ce genre d’endroit m’apparait toujours bordélique. Mais au moins, l’accueil assure, susurre l’inspecteur.
– Cherche la porte, au lieu de fantasmer sur une synthétique, brocarde Hermeline.
– Je ne suis qu’un homme sensible.


La salle B3 se situe sur leur droite, cinquième accès. Aucune serrure et aucune poignée ne semble l’équiper. Les deux compères se demandent comment entrer dans la place lorsqu’un déclic résonne. Le sas s’ouvre soudainement, un robot apparait dans l’encadrement.

L’entité affiche une chevelure rousse, vêtue d’un sailor fuku, la tenue des écolières japonaise, une excentricité rare chez les êtres artificiels. Ses yeux ternes fixent les deux humains. Elle les invite par un geste à pénétrer dans la pièce, elle glisse sur ses quatre roulettes qui lui servent de modules de locomotion. À l’intérieur, les étagères gondolent sous le poids des livres et autres ouvrages, et forment un labyrinthe inextricable.


– Vous venir pour archives Inamori Moto ? demande le robot.
– Euh, oui en effet, formule l’inspecteur se retenant de rire face à son interlocuteur. Après tout, les bibliothèques manquent de moyens, ce genre de problème s’avère assez récurrent.
– Vous me suivre. Ma amie avertir moi votre arrivée.


Le grincement métallique de ses roulettes reprend lorsqu’il tourne derrière une première étagère avec sur ses talons, ses invités, toujours sous l’effet de la surprise.


– Vous travaillez seul ici, demande Hermeline ?
– Affirmatif. Unique par pièce. Une moi pour chaque réserve. Nous numériser tout. Beaucoup année pour scanner les documents. Humain fou, lui écrire beaucoup.


Le robot, à la tenue extraordinaire et à l’élocution tout aussi déconcertante, les guide au centre de la salle. En son milieu, une table se dresse entourée de quelques chaises. Une dizaine de chemises à soufflet épaisses réparties en deux piles les attendent. Un broc d’eau et deux verres patientent à leur disposition.


– Voici ce que nous posséder. Personne chercher dedans. Une fois investigation terme, vous laissez tout, je ranger.


Le robot, aux vêtements féminins, tourne sur lui-même et sans écouter une éventuelle réponse, disparait derrière les nombreuses étagères.

Gailan et Hermeline s’installent chacun devant une pile. Le premier dossier relate l’enfance de la femme. Dès son plus jeune âge, Inamori Moto montre des dons certains dans toutes les matières en particulier en biologie et cybernétique. Un test de QI dévoile un quotient de 163. Sachant cela, ses parents la dirigent sur une classe de surdoué. Après tout, Einstein lui présentait un QI de 162, ses procréateurs ne voulaient manifestement pas gâcher son potentiel.

À tout juste 16 ans, elle sort diplômée de l’université en médecine, science et philosophie moderne. Elle symbolise la fierté de ses pairs. Puis, durant deux années, aucune trace d’elle, nulle part. Les minutiers mentionnent la possibilité que la jeune femme en profite pour voyager à travers le monde.

Les seconds, troisièmes et quatrièmes documents évoquent ses études et sa famille. Le tout dévoile une enfance difficile, isolée par son intelligence ; ses géniteurs n’arrivent pas à la comprendre. Un fossé s’installe entre eux au fur et à mesure qu’elle grandit. À ses 17 printemps, son père meurt dans un accident de voiture, sa mère en dépression se retrouve internée en maison de repos.


– Tout ceci reste assez banal en vérité. Beaucoup de gens vivent ce genre de chose, remarque Hermeline.
– Sans doute, marmonne Gailan.

Le cinquième dossier s’attarde sur son incorporation au sein de l’armée pour ses 18 ans. Elle décroche une affectation dans les recherches médicotechnologiques. Elle obtient entre temps une mention en bio-ingénieries et met au point une puce antidouleur pour les grands brulés ; découverte immédiatement rachetée par les militaires pour insensibiliser leurs combattants.
L’appareillage les rend capables de se battre les chairs gravement mutilées, mais les soldats s’exemptent de tout sentiment.

La même année que son incorporation, elle révolutionne les prothèses en imaginant des nerfs et ligaments en matières synthétiques. Ils se couplent avec des tractus — fibres — musculaires également artificiels. Le monde s’ouvre sur une percée de la robotique aujourd’hui omniprésente. Les androïdes modernes possèdent pour la plupart un corps équipé de cette technologie, les instituant bien plus réels que leur concepteur.

À l’époque, Inamori éprouve que ses découvertes favoriseront un transhumanisme évolué. Elle crée un programme, qui à long terme, permettra d’accéder à l’immortalité en devenant non organique. Les scientifiques du monde sonnent l’alarme et elle se retrouve écartée de toute recherche dans ce domaine. Déchue, elle rétrograde aux fonctions de simple infirmière. Plus tard, elle se retourne contre l’armée de son pays et commet divers actes de sabotage.

Le sixième dossier évoque une autre Inamori, cuisinière de son état qui reçut de nombreuses étoiles et accueillit des personnes des hautes instances à sa table. Le septième dévoile une photographie la montrant entourée des membres de la famille royale d’Angleterre.

La pochette à élastique suivante revient sur la guerre. Le contenu n’explique pas comment la femme devient rapidement lieutenant-colonel. Certes, ses diplômes la prédisposent à un poste d’officier. Mais pas à un grade supérieur alors, qu’elle accomplit seulement sa première année sous les drapeaux. Elle gère les centres de soins et reçoit dans son camp les blessés en urgence absolue ; sans oublier qu’elle n’hésite pas à se déplacer sur les théâtres d’opérations. Elle fournissait aux chirurgiens des méthodes révolutionnaires afin de traiter et réparer les tissus irrémédiablement endommagés.

Le neuvième classeur relate ses actes de sabotages perpétrés chez ses alliés. Il ne proposait guère de renseignements inédits. Les feuillets s’orientent surtout sur sa trahison, et sa qualification d’ennemie publique numéro 1.


– Tout ceci ne nous apprend rien, précise Hermeline.
– Il reste un ultime document, objecte Gailan.
– Pas exactement, regarde, la jeune femme dévoile les fiches contenues dans la dernière pochette. Tout le texte porte des ratures réalisées avec un gros marqueur noir permanent.
– Mais ?
– Quelqu’un a effacé les traces. Nous revenons à la case de départ, constate Hermeline.
– Je ne comprends pas, pour quoi détruire des informations ? La guerre remonte à 75 ans, elle affichait tout juste 20 ans. Comment se peut-il que nous ne trouvions rien ? Les éléments, sur ce qu’elle devint, manquent.
– Son successeur ne veut peut-être pas que l’on puisse l’identifier et le localiser ?
– Tu découvres des noms exploitables dans tout ce fourbi ? Questionne Gailan en parcourant à nouveau les documents.
– Pas le moindre ! elle ne semble pas avoir formé d’apprentis ou stagiaires.
– Et au niveau des chirurgiens ? Elle leur enseignait diverses méthodes pour réparer les tissus et implanter ses premières prothèses synthétiques.
– Tous morts. Voici la liste, énonce Hermeline.


L’inspecteur la déchiffre et soupire visiblement abattu.
Ils restent une bonne demi-heure supplémentaire afin de bien tout relire, à la recherche d’une indication éventuellement exploitable, en vain.

– Si, tout est lié, les attentats nous permettront de récupérer des données précieuses, grâce aux corps.
– Tu suggères d’attendre la prochaine bombe ? S’horrifie Hermeline.
– Non. J’espère seulement que notre légiste dispose déjà de quelques réponses à nous fournir, voire d’une piste.



A suivre, Chapitre 9 : De nouvelles révélations
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MessageSujet: Re: Under Cover   Under Cover Icon_minitimeJeu 5 Mar - 14:40

Chapitre 9

De nouvelles révélations

– Bon Dieu Gailan ! vous vous rendez compte de ce que vous me dites ?
– Commissaire, quelles autres alternatives s’offrent à nous ? Nous ne disposons pas d’indices, de schéma opératoire viable, de mobile, ou de revendication ! Nous piétinons dans la mélasse. Et malheureusement, aux dernières nouvelles, notre médecin légiste n’a rien encore à nous apprendre.
– Je n’ignore pas tout cela. Je m’interdis d’attendre un nouveau drame pour avancer sur cette enquête. Nous appartenons au corps des policiers, avec pour corolaire le devoir de servir et de protéger. Je vous le déclare tout net, je refuse de rester les bras ballants en misant, hypothétiquement, sur un prochain cadavre nous donne des éléments pour progresser.
– Vous proposez quoi ? De renforcer les contrôles ? D’augmenter nos patrouilles dans les rues et lieux publics, d’être soi-disant plus dissuasif ? Nous n’obtiendrons pas de réponses à nos questions ou de solution à nos problèmes.
– Certes, Gailan. Mais je dois considérer que les gens meurent d’effroi. Même si tout cela reste illusoire, notre présence les rassure.
– Vous avez raison, du moins j’ose l’espérer, concède Gailan.
– L’heure de se reposer sonne, inspecteur, et je fatigue, ses derniers jours contribuent à m’épuiser mentalement. Je n’ignore pas qu’avec votre collègue vous ne ménagez pas votre peine. Relaxez-vous, ce soir !

Gailan quitte le bureau de son chef et rejoint sa partenaire, elle l’attend avachie sur une chaise, éreintée en apparence.

– Alors, comment encaisse-t-il la nouvelle ? Demande Hermeline.
– Très mal, il fallait s’en douter. Viens, rentrons.
– Avec ma voiture, impose-t-elle tout sourire.
– Entendu, soupire l’inspecteur, résigné.

Le rectangle jaune s’élève et soulève un nuage de poussière. Dépité par leurs recherches infructueuses, Gailan se morfond. Seule Hermeline, au volant de son bâtonnet, affiche son plaisir, visiblement ravie de retrouver son moyen de transport.

La chaussée défile à vive allure, soudain la jeune femme freine brusquement, extirpant Gailan de sa torpeur. Ils approchent de leurs domiciles. Cependant, le spectacle morbide qui se déroule sous leurs yeux incrédules les empêche de rejoindre leur immeuble par le chemin le moins long.

Un tas de corps embrasés trônent au beau milieu de la route. Une fumée noire et dense assaille les cieux et retombe en cendre épaisse et graisseuse. Les odeurs de sang, de feu et d’huile obligent les agitateurs à couvrir leur nez et leur bouche pour s’en protéger.
Des pancartes brandies affichent : « sauvez l’humanité » ; « mort aux synthétiques » ; « stop, aux boites de conserve ». D’autres messages, antirobots et androïdes, se lisent sur les panonceaux au gré des inspirations des manifestants. De l’amoncèlement de corps émanent des grincements et des grésillements issus du métal soumis à une forte chaleur. Parfois, une décharge bleutée fuse du brasier ; l’éclair électrique se perd dans le sol.

Certains émeutiers s’arrachent leur prothèse cybernétique pour la projeter dans les flammes. Le tas ne cesse de s’agrandir. Des hommes en femmes s’acharnent sur des androïdes trop bêtes pour fuir. Les machines se retrouvent alors démembrées, à l’aide de barres de fer et divers objets contondants, puis jetés au bucher.

– Putain de merde ! réagit l’inspecteur en se redressant sur son siège.
– On décide quoi ? Je passe en force ? Demande Hermeline.
– Heureusement que nous circulons dans un véhicule civil, autrement…
– Et ! Vous ! Rejoignez-nous, il y en a marre de ses tas de ferraille. Elles cherchent à nous supplanter, elles nous volent déjà nos boulots et maintenant elles essayent de nous tuer via ces attentats !
– Nous ne pouvons pas nous attarder et puis les autorités ne tarderont plus. Démarre, ordonne Gailan.
– Ecoutez mon bon monsieur, quelques flics ne nous effraient pas ! Ne te sauve pas toi !

L’émeutier brandit un révolver artisanal et tire sur un androïde à moitié fondu qui tente de s’échapper du charnier. Le projectile fracasse sa boite crânienne sous les cris et applaudissements de la foule surexcitée.

Profitant de l’euphorie circonstancielle, Hermeline enclenche la marche arrière et quitte la zone à toute vitesse. Dans son rétroviseur, elle aperçoit l’homme lui adresser un doigt d’honneur. Déjà, les journalistes arrivent sur les lieux et commencent à sortir caméras et appareils photo. Ils escomptent réaliser un reportage digne du Pulitzer. Les forces de l’ordre les suivent de près. Les CRS, casqués et sanglés, brandissent leurs matraques et boucliers. Ils avancent en formant un mur hermétique.

– Nous nous éclipsons juste à temps, je crois, constate Hermeline.
– En effet, ils deviennent cinglés ! acquiesce Gailan.
– Ils recherchent un exutoire. Le résultat du laxisme apparent des forces de l’ordre. Cela les incite à se trouver des coupables. Quoi de plus logique que d’accuser les machines ? Chose terrible, mais normale, si tu veux mon avis, observe Hermeline.
– Autres temps, autres mœurs. Mais, rien ne change jamais vraiment. Conduis-nous chez nous.
– On n’appelle pas le chef ?
– Une fois rentré. Je ne souhaite pas à participer à cet assaut contre ses pauvres fous. Crois-en mon expérience, Hermeline, il vaut mieux se tenir loin des foules en colère. Elles se retrouvent souvent dépassées par les évènements, qu’elle provoque elle-même. On n’anticipe jamais où cela va s’arrêter.

Ils parvinrent après un grand détour à regagner leur résidence. Hermeline s’incruste chez Gailan. Il contacte son chef, qui raccroche sans ménagement. Il gère une émeute sur les bras et jongle avec les secours, la garde civile dépêchée par le préfet et les petites milices urbaines. L’inspecteur, dépité, allume son holoécran.

– Reg, sers-nous à boire, mais pas de moutarde !
– De la moutarde ? questionne Hermeline intriguée.
– Reg témoigne de beaucoup de bonne volonté, avec quelques couacs dans sa programmation, pas toujours optimale.
– Un verre de fruit vous convient ?
– Du jus de fruits, pas de fruits s’il te plait, soupire Gailan.
– Je ne comprends pas la différence, un fruit reste un fruit non ?
– Un jus ! Ne cherche pas Reg.
– Comme vous voudrez.

Une vue aérienne montre le charnier aperçu en début d’après-midi. Il semble plus imposant que lorsqu’ils l’avaient tous deux quitté. Observées des hauteurs, les émanations gazeuses et les vapeurs dégagées par les buchers paraissent très épaisses. Les soldats du feu, positionnés derrière les CRS, attendent une accalmie de la foule en colère pour éteindre les incendies. Inutile de se risquer au milieu de tout ce foutoir. Augmenter le nombre de blessés, de ce fait, ne constitue pas une solution, en soi. De plus, les foyers ne mettent pas en danger les structures avoisinantes, seule la fumée crée un réel problème. L’état-major des pompiers dépêche les cadets, pour qu’ils préviennent les gens de fermer leur fenêtre.

Les milices impuissantes se contentent d’encercler simplement l’attroupement qui s’amasse pour examiner les manifestants et leurs actes. Le commissaire, à la tête des opérations, observe le macabre spectacle. Le meneur, devant lui, vocifère des flots de paroles incompréhensibles et des insultes justement senties à l’égard des forces de l’ordre.

– Que direz-vous quand vos boulots disparaitront, qu’ils viendront vous virer ? Ne voyez-vous pas ce qui se passe ? Bande de débiles ! Sous peu, les grille-pains contrôleront tout ! Nous ne jouons plus, nous assistons à notre extinction. Rejoignez-nous, cessez d’agir en trous du cul !

Partout, les flashs grésillent, les gazetiers ne veulent pas rater une seule miette du terrible évènement. Ils provoquent les quolibets des forces de l’ordre. La scène surréaliste se retrouve relayée sur l’ensemble de la cité martienne, mais également sur Terre. Le vacarme ambiant nait du mélange des vociférations, des commandements, et du crépitement des flammes qui dévorent leur combustible synthétique. Le charivari oblige les journalistes à crier pour communiquer, malgré leurs microphones de haute qualité.

– J’estime que nous avons bien fait de rentrer. Regarde, la foule s’en prend désormais aux reporters qui portent des prothèses. Les milices ne parviennent plus à les contenir, observe Hermeline.
– Avec mon genou artificiel… philosophe l’inspecteur, en visualisant très clairement ce qu’il lui serait arrivé.
– Les prochains jours voire les semaines se révèleront difficiles.

L’air de rien, la jeune femme se rapproche de Gailan.
– Par prudence et même s’il m’en coute, nous utiliserons ta voiture. Notre véhicule officiel nous désigne comme des proies potentielles, si les choses empirent.
– Cela ne me dérange pas, bien au contraire, s’extasie Hermeline.
Elle accentue son envoutement discret, lorsque la porte de l’appartement s’ouvre brusquement. Les deux policiers sursautent de concert. Sur le seuil, le regard éperdu et les cheveux en bataille, une jeune femme les dévisage quelques secondes. Visiblement rassurée, elle entre, trainant un cadavre derrière elle.

– Angel ? réagit Hermeline, qui la reconnait avec difficulté.
– Deux secondes. Angel amène le corps jusque sur le canapé, le laisse là, et file refermer la porte.
– Oh ! des invités, je leur apporte un verre de fruits ! s’extasie promptement Reg.
Gailan, encore sous l’effet de la surprise, tient son arme de poing en main. Le doigt sur le cran de sureté prêt à tirer. Son regard glisse sur la forme alanguie sur son sofa. Le corps athlétique git, inanimé, recouvert d’ecchymoses ; de la peau et des chairs émergent de fins fils électriques.

– Un androïde ? Mais, je le reconnais ! Onisuka ! Que lui arrive-t-il ? s’exclame l’inspecteur.
– Nous projetions de boire un coup ensemble, sur le chemin une émeute a éclaté. Il a été pris dans la bagarre. Sous prétexte qu’il porte un bras cybernétique, des fous voulaient le lui arracher et le bruler. Il s’est battu, je l’ai aidé et nous voilà.
– De ce que je remarque, je secours un androïde, énonce Hermeline. Elle entreprend de l’installer confortablement sur le sofa.
– Oui, je vous expliquerai ultérieurement, précise Angel, dès son arrivée. Inspecteur, je m’excuse de venir chez vous, mais vu les évènements, j’escomptais qu’ici nous jouirions de plus de sécurité.
– Pas de problème, répond Gailan, avec sollicitude. Comment savais-tu que tu nous trouverais chez nous ?
– Je vous ai entre aperçus dans la Findus. Vous vous extirpiez une émeute. D’ailleurs, beaucoup ont éclaté ce jour.
L’enquêteur hoche la tête.
– J’entre, prononce tout à coup une voix chevrotante.

La grand-mère porte une petite valise métallique, toute simple sans serrure, sans clapet. Elle se place à côté d’Onisuka et ouvre sa mallette. Un microordinateur complexe émerge des entrailles du contenant. La vieille dame saisit des câbles et les branche sur l’être artificiel. Un grésillement accompagne le diagnostic. Onisuka entrebâille alors les paupières.

– Inamori ? Que fais-tu ici ?
– Tu as subi une agression, mais te voilà à l’abri. Les nanites te remettront sur pied. Reste tranquille. La femme se retourne vers Gailan. Je vous dois quelques explications, je présume.
– Oui, je le crois aussi, l’inspecteur range son arme dans son holster.
– Je me présente, Inamori Moto. L’originale. Une copie de moi existe et occupe un corps jeune : celui d’Angel. Mes recherches sur le transfert d’un esprit humain dans un organisme artificiel ne me permirent pas d’effacer le « moi » biologique.
– Une synthétique, Angel, incroyable ? s’étonne Hermeline.
– Oui, comment pensez-vous qu’elle arrive à se montrer aussi forte et rapide et ne succombe jamais à un accident dans les matchs de Death Ball ? Je dois vous révéler un grand secret, la civilisation vit ses dernières heures. Ces attentats n’embrassent qu’un seul et unique objectif : annihiler notre race.
– Vous délirez ! Je remarque qu’Onisuka comme androïde, ne parvient pas à égaler Angel. Quant à supprimer l’humanité, cela tient d’un projet de mégalomanie.
– Onisuka est bien plus vieux qu’Angel, il a été conçu avant que je ne trouve le moyen de me transférer. Quant à notre disparition, l’ennemi nous entoure, et cela depuis la dernière guerre. J’ai agi contre lui à l’époque et je fus accusé de traitrise. Mes recherches furent volées. Je fuis alors, changeant sans cesse d’identité. Au départ, notre adversaire se résumait à un simple programme d’intelligence artificielle, aujourd’hui… après toutes ses années…
– Pourquoi vouloir mettre un terme à l’humanité ? questionne Hermeline, interrompant Inamori.
– Pour diverses raisons. Notre espèce détruit tout ce qu’elle touche. Il écrase tout ce qui l’effraie ou ce qui le menace. Il n’hésite pas à supprimer, ce qu’il ne parvint pas à comprendre refusant que les choses lui échappent. En à peine quelques décennies d’industrialisation, il a pollué l’atmosphère accélérant le réchauffement climatique. Sans oublier que l’expansion de la démographie a nécessité la néantisation des forêts. Aujourd’hui, les seuls arbres survivants s’observent dans des musées. Oh, il existe bien des graines destinées à la germination, mais aucun espace foncier pour les accueillir.
– D’où les échangeurs implantés dans les androïdes qui produisent de l’oxygène, relève Angel.
– En gros, l’ennemi considère que nous agissons comme un cancer à supprimer afin de soigner la Terre, enfin, les mondes colonisés.
– Pourquoi nous dire tout ceci maintenant ?
– Pour protéger Angel. Elle représente la dernière génération de synthétique, et la première pièce de l’avenir de l’humanité.
– Je ne comprends pas, s’exclame Gailan.
– Inspecteur, elle dispose de l’aptitude à se reproduire. Elle engendrera la vie. Créer une nouvelle race exempte du besoin impérieux de manger, de respirer. Elle donnera naissance à une population affranchie du laxisme, de la servitude du consumérisme, des religions imbéciles et du pouvoir qui corrompt tout.
– Vous voulez tous deux nous annihiler, le réalisez-vous ?
– Votre civilisation se sait condamnée, et cela depuis son apparition. Angel se révèle plus humaine que vous. Nous coexistions avec plus d’êtres artificiels que vous ne le pensez, inspecteur. Du haut de mes 95 ans, j’ai vu ce qu’un unique individu peut détruire parfois et je l’appréhende. Seul, un idiot n’éprouverait pas de peur, d’ailleurs. Bien sûr, je ne souhaite pas l’extinction de l’humanité, mais le processus semble déjà en marche et je le présume irréversible dorénavant.
– …
– Vous ne me croyez pas ? Pourtant votre entourage se compose en grande partie par des androïdes.
– Comment ça ?
La vielle Inamori Moto s’approche d’Hermeline.
– Active-toi, mon enfant.

La jeune femme se fige, et passe un bras dans son dos, elle enclenche un minuscule interrupteur discrètement installé entre ses omoplates. Un pan de son visage grésille et grimace. Ses yeux ambrés brillent innocemment et se stabilisent en une lumière argenté intense.

– Vous observez : Angel 2, baptisé ultérieurement Hermeline. Nous l’avons conçu Angel et moi pour se rapprocher de vous. Vous pensiez qu’une simple hôtesse de l’air deviendrait policière à l’aide d’un petit concours ? Sans entrainement ? Vous n’avez pas trouvé cela un peu phénoménal ? Remarquez que plus c’est gros, plus les gens tombent dans le piège. Il en va de même pour cet immeuble, croyez-vous réellement que vous devez au hasard de vous retrouver voisins et partenaires ?
– Je suis désolée, Gailan, je ne voulais rien te cacher.
– Aucune importance, Hermeline, ne t’inquiète pas. J’aurais dû m’en douter.
– Ne vous reprochez rien, inspecteur. Nous avons pris grand soin de tout organiser dans les moindres détails.
– J’aimerais disposer de toutes les informations disponibles sur ces deux corps. D’abord, celui avec un cerveau trafiqué avec moult puces et autres processeurs. Ensuite, celui à l’encéphale sans gadget. Gailan ponctue sa demande d’une mimique désabusée.
– Il s’agit de l’œuvre de l’ennemi, précise Inamori.
– Le connaissez-vous, reprend le policier ?
– Vous, bien entendu.
– Moi ? Qu’entendez-vous par là ?
– Oui, vous ! Du moins, votre double. Vous n’êtes pas tellement humain vous non plus. Au départ, nous vous tenions pour responsable de tout ceci. Mais non. Le coupable possédait alors un corps robotisé, tout à fait banal. À l’époque, nos efforts l’acculèrent, il opta pour la fuite à bord d’un véhicule, malheureusement pour vous. Il provoqua l’accident de voiture, où vous avez perdu votre femme et votre enfant. Il en profita pour créer un double de vous et de votre mémoire.
– Le camion qui a causé l’accident… murmure Gailan.
– Oui, nous portons une partie de la responsabilité. Nous ignorons comment il vous copia physiquement et mentalement. Ainsi, pendant un temps nous n’arrivions pas à identifier l’ennemi. Nous hésitions entre vous et un clone. Oh ! vous ne constituez pas le premier quidam à qui il vole l’apparence, il agit comme un caméléon. Aujourd’hui, nous méconnaissons sa physionomie.
– …
Il va bientôt se manifester, ses plans parviennent à leurs termes. Depuis hier soir, la Terre ne répond plus. Les scanographes ne détectent plus aucune forme de vie organique humaine sur la planète mère. Nous travaillons en étroite collaboration avec les résistances martiennes et nous n’avons rien empêché. Inamori se laisse choir sur une chaise, visiblement fatiguée.
– Impossible, on ne peut supprimer tout un monde sans que les gens s’en rendent compte, objecte Gailan.


Et pourtant. En réfléchissant bien, je comprends pourquoi ces derniers temps, nous découvrions plus de victimes cybernétiques qu’organiques, appuie Hermeline.
Pendant ce temps, Angel penchée sur son homologue de 95 ans, lui chuchote à l’oreille :

– Imagine la population si elle apprend une chose pareille ? Quelle réaction engendrerait une telle révélation ? Ils brulent déjà tout ce qui ne relève pas de la matière vivante. Ils se mutilent, même s’ils ne possèdent qu’un doigt postiche.
– Pourquoi ne pas avoir utilisé un virus s’il désire réellement nous supprimer, demande l’inspecteur ?
– Il s’agit d’un psychopathe, il dispose de l’éternité devant lui, il joue, explique Hermeline.
– Pourquoi un programme, d’intelligence artificielle, développerait-il une si grande haine pour nous ? Cela ne respecte aucune logique.
– Parce qu’un homme ne change pas, mon cher Gailan. Il vieillit et meurt. Un autre individu le remplace. Il répètera les mêmes actions, les mêmes erreurs. La civilisation m’évoque un château de cartes, ses bases manquent d’ancrage solide, constate Inamori.
– Quel nom porte cet adversaire, questionne l’inspecteur ?
– Nous ne le savons pas. La dernière fois que nous avons trouvé sa trace, il vous ressemblait comme deux gouttes d’eau. D’où notre surveillance à votre endroit. Depuis nous ne détectons plus aucun indice, il a dû se rendre compte que nous allions l’arrêter.
– Comment réagir alors ?
– Nous disposons d’autres alliés, dans les hautes instances. Vous allez être surpris, je gage, l’informe Hermeline.
– Onisuka se réveille à nouveau, les interrompt Angel.

Encore relié à l’ordinateur, l’homme s’agite sur le canapé. Il remue rapidement des paupières comme lors des mauvais rêves. Il ouvre soudainement les yeux et analyse vitement sa situation. Angel lui saisit la main pour le rassurer.

– Où suis-je ?
– Chez l’inspecteur Gailan.
– Angel ? Il regarde autour de lui, et aperçoit la vielle. Inamori ? Que diable fais-tu ici ?
– Tu vas bien ? Tu radotes, voilà déjà deux fois, que tu nous poses les mêmes questions.
– Je ne me rappelle pas, je nage en pleine confusion. Ils savent ? s’inquiète Onisuka.
– Affirmatif. Sceptiques certes, mais, avertis, acquiesce Inamori.
– Et pour Angel et moi ?
– Pour Angel oui, pour toi, ils connaissent ta vraie nature.
– Cela ne se limite pas à ces révélations, n’est-ce pas ? interroge l’inspecteur.
– Comme homme, j’occupe un corps artificiel, je représente le premier transfert complet d’un sujet vers un support de synthèse, précise Onisuka.
– Combien d’autres, comme vous, existent, demande Gailan ?
– Je l’ignore en réalité, normalement uniquement deux. Mais, comment affirmer que seuls nous en avons ?
– Onisuka, depuis ils ont découvert des cyborgs. Tu sais quelque chose là-dessus ?
– Non. Certainement l’œuvre d’un fou. Les gens aiment créer ce genre de chose, surtout si cela constitue un interdit.

Gailan jeta un œil à sa partenaire, cette dernière demeure silencieuse depuis quelque temps. Elle garde les mains jointes et fixe le sol d’un air coupable. Il hésite sur la conduite à tenir et sur ses sentiments à son égard. L’inspecteur commence tout juste à ressentir une attirance pour elle, et maintenant voilà, qu’il la découvre non-humaine. Sans oublier qu’elle l’a surveillé à son insu ; il se demande quelle attitude adopter. Finalement, il la rejoint et lui agrippe les mains. Hermeline redresse la tête, elle toise son collègue avec un regard plein d’incertitudes. Gailan lui adresse un clin d’œil et lui dépose un baiser sur le front. Soulagée, la jeune femme se remet à sourire.

– Le moment de vous rendre au commissariat a sonné ! Voyez votre chef, Gailan, et informez-le que le quatrième sous-sol se trouve inondé, précise Inamori, en retirant les différents câbles attachés à Onisuka.
– Pourquoi lui dire une chose pareille, demande l’inspecteur ?
– Accordez-moi votre confiance. Angel, tu les accompagnes, je reste ici avec Onisuka. J’achèverai le diagnostic. Je m’efforcerai de réparer ce que je peux. Les nanites ne suffiront pas, pour une autorégénération complète.
– Entendu, réplique Angel.


A suivre, Chapitre 10 : Résistance
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MessageSujet: Re: Under Cover   Under Cover Icon_minitimeVen 13 Mar - 14:28

Chapitre 10

Résistance

Angel assise à l’arrière, regarde l’asphalte glisser sous le véhicule. L’inspecteur et sa partenaire écoutent la radio afin de mesurer l’évolution de l’émeute. Parfois entre deux immeubles, ils distinguent une colonne de fumée blanche, confirmant les dires des journalistes. Ces derniers tentent de rassurer la population en affirmant que les pompiers maitrisent les incendies. La presse soutient que tout demeure sous contrôle. Elle précise que les autorités repoussent les manifestants et procèdent à des arrestations.

La circulation se chronicise fluide. Peu de personnes se promènent sur les boulevards ou dans les ruelles à l’exception du quartier malfamé. Ils atteignent sans encombre jusqu’à leur destination. Immédiatement, ils se rendent dans le bureau de leur supérieur. Le policier vient à peine de s’installer, il porte toujours sa veste en laine élimée. Il se dandine sur place et observe avec avidité son mug se remplir de café.


– Chef, le quatrième sous-sol est inondé, formule Gailan. L’intéressé manque de laisser tomber son récipient tout juste empli.
– Pardon ? Il se retourne : Angel ? Que se passe-t-il ?
– Ils connaissent la conjoncture, Inamori les a affranchis.
– Elle leur accorde sa confiance, s’inquiète Gailan ?
– Oui, Hermeline appartient à notre corporation, elle opérait à son insu, comme un agent dormant, précise Angel.
– La vieille maligne… j’espère qu’elle maitrise la situation. Bon, suivez-moi et pas un mot sur ce que vous observerez ou entendrez, compris ?


Ils hochent de la tête en signe d’approbations. Leur chef les entraine jusqu’à l’ascenseur. Il les amène à la morgue en avalant d’un trait la moitié de son breuvage encore bouillant.


– Pourquoi venons-nous, ici ? s’étonne Gailan, dubitatif et surpris de la tournure des évènements.
– Patience, grogne leur patron.


A destination, la porte s’ouvre. Le commissaire se dirige, suivi de ses poissons-pilotes, droit vers le médecin des morts. Cette dernière se dresse derrière la paroi vitrée d’une salle accessible seulement par un sas.


– Chef, que me vaut votre visite, aujourd’hui ? Je n’ai rien découvert de plus sur les corps du spatioport. Navré, inspecteur, je reste dans l’impossibilité de vous offrir plus d’indices.


Le légiste passe la main dans ses cheveux et les rabat vers l’arrière. Elle observe avec curiosité Angel, mais ne souffle pas mot à son égard.

– Le quatrième sous-sol est inondé, formule le commandant.
Le toubib se fige et interroge :
– Êtes-vous sûr de vous ?
– Oui, affirme Angel.
– Inamori vous envoie ? Où se trouve-t-elle, s’enquiert la praticienne ?
– Chez moi, répond Gailan, elle s’occupe d’Onisuka.
– Tu nous ouvres s’il te plait ? commande le commissaire. Avant que quelqu’un ne descende et ne se pose des questions.
– Ne demande pas ça à une légiste ! Une déformation professionnelle…


La petite rouquine se rend à son plan de travail et s’empare du combiné de son téléphone vintage. Elle tourne le cadran et compose le zéro et attend une minute, puis raccroche. Une trappe se déverrouille presque à ses pieds. Ils passent sous le bureau et descendent une courte échelle, vers le niveau inférieur.


La légiste les interpelle :
– Mémoriser ce code enfantin, alors, ne l’oubliez pas !
– Trop facile, réagit Gailan. Ne craignez-vous pas que ce moyen d’accéder au refuge se révèle trop simple à percer ?
– Justement, qui attendrait une minute entière avant d’enclencher un second chiffre objecte le médecin ?
– Vous voici au cœur de la résistance, explique le commissaire une fois en bas.


Devant eux, un minuscule couloir, mal éclairé, se perd dans les ténèbres. Il se découvre au fil des pas des visiteurs. Il donne sur une vaste pièce ou une fourmilière d’individus s’active sur divers terminaux. Le chef de la police se dirige comme un automate jusqu’à la cafetière, son récipient déjà vide, il le remplit consciencieusement.
Angel et le légiste signalent à l’inspecteur et à sa partenaire de les suivre. Une infirmerie s’ouvre sur la gauche de la salle. L’hôpital de fortune se compose de trois couchettes, d’une table d’opération et d’une desserte munie de roulettes sommairement fixées. Sur cette dernière reposent divers outils chirurgicaux : scalpel, pince, fil, etc. Une chaise et une grosse lampe mobile complètent le mobilier.


– Asseyez-vous ici, inspecteur. Ordonne, plus qu’elle ne le suggère, la femme rousse. L’homme s’exécute. Je suis navrée, reprend-elle, mais la procédure exige de vous insérer un mouchard.
– Dans quel but, demande Gailan ?
– Tous les membres en possèdent un. Une précaution, qui parait futile, à première vue, mais qui démontre son efficacité régulièrement.
– Allez-y alors.


La femme fouille dans un tiroir branlant implanté dans la servante. Elle en retire un sachet contenant des dispositifs de la taille d’un grain de riz. Elle saisit une seringue et la remplit avec le traceur. Il baigne dans un liquide que l’inspecteur ne parvient pas à identifier. La légiste pique son patient.


– Voilà l’injection terminée.
– La puce fonctionne ? interroge Angel.
– Nickel, répond Hermeline en consultant un petit écran. Il affiche la position de la cible.
– Merci Doc. Gailan, tu viens, le chef nous attend, intime Hermeline.


Pris par les évènements, l’homme acquiesce une fois de plus, sans mot dire. Angel les guide vers le fond de l’installation. Chaque couloir se trouve encombré de caisses diverses. Des feux miniatures éclairent les coins les plus sombres. Faute d’énergie suffisante, seules l’infirmerie et la salle des commandes se retrouvent correctement illuminées.

Plusieurs locaux de stockages transformés en dortoir accueillent des lits à deux places ; parfois, une silhouette s’y repose. Cependant, l’ensemble demeure assez vide, compte tenu de sa taille. Mis à part les plantons en faction devant le garde-manger et la réserve médicale, ils ne croisent aucune âme qui vive. Les inspecteurs se doutent que d’autres effectifs s’affairent dans le poste de commande. Après tout, le siège des opérations, en tant que centre névralgique, regorge de ressources humaines. Ces agents interviennent, sans doute, pour l’heure, sur le terrain.


– Vous bénéficiez de renforts ? questionne Gailan soucieux.
– Morts pour la plupart, vous contemplez tous ceux qui subsistent, nous avons réagi trop tard. Nous manquons de preuves, de matériel et de personnes intelligentes non obsédées par les chimères complotistes… entre autres. Nous disposons de contacts avec l’armée. Elle œuvre en secret pour stopper l’ennemi. Mais cela n’avance à rien, ou presque. Cette dernière affronte un gouvernement ne jurant que par le profit et le pouvoir. Des imbéciles, ces politiciens maudits ! maugrée Hermeline.


Le commandant de police, son éternel café brulant à portée de main, accueille ses subalternes. Il bénéficie d’un petit espace personnel, chichement équipé d’un bureau et d’un lit de camp. Contrairement, au reste des résistants qui vivent en collocation forcée, il dispose d’une certaine intimité. Quelques archives, usées par des consultations fréquentes, s’empilent sur la table de travail. Elles apparaissent toutes souillées par du liquide noirâtre, dont le commissaire raffole tant.


– Je regrette nos locaux, là-haut, le confort demeure bien meilleur, sourit-il en leur indiquant de s’assoir.
– Vous participez à cela depuis longtemps, chef ?
– Quelques années, inspecteur. Notre groupe se trouve à l’origine d’une réduction significative du nombre d’attentats. J’en éprouve une certaine fierté. Cela vous permet d’imaginer l’ampleur du problème que nous affrontons.
– Donc, vous n’ignoriez rien pour Inamori Moto ?
– Évidemment, Gailan. Je regrette de vous avoir laissé enquêter inutilement à son sujet. Mais, je ne pouvais pas vous révéler que votre piste ne donnerait aucun résultat. Du moins, avant que vous découvriez tout ceci. Sans Angel, vous stagnerez toujours dans l’impéritie. Je désirais éviter tout risque, comme vous le constatez, nous survivons en petit nombre, je crains que notre mouvement ne disparaisse prochainement.
– Pourquoi, s’étonne Gailan ?
– Recruter se complique. Les gens, individuellement, se montrent assez intelligents pour appréhender la situation. En groupes, ils se comportent comme des cons, intervient Hermeline.
– Hermeline, je ne parle pas des personnes qui analysent correctement ce qui se passe sous leurs yeux. J’évoque les synthétiques, ils deviennent de plus en plus nombreux à succomber, victimes de piratage.
– Je ne saisis pas, reprend l’inspectrice avec un mouvement de tête révélateur de son incompréhension.
– Votre rencontre avec Achaiah, le PDG de Cybertech, devrait vous aiguiller sur la bonne voie, explique le Commissaire.
– Je ne vois vraiment pas, précise-t-elle.
– Achaiah fabrique illégalement des androïdes sexuels.
– Nous le savons, intervient Hermeline, et donc ? Je n’arrive pas à relier cette activité avec les piratages.
– Arrêtons-le. Gailan hausse les épaules sous l’évidence, sans se rendre compte qu’il dévie du sujet.
– Impossible. Il opère sous les ordres de l’ennemi, ce dernier détient sa fille. Je ne définis pas le PDG comme un corrompu. Certes, il se remplit les poches et se tape un robot à l’occasion, mais il ne nourrit aucune rancœur contre l’humanité. Il modifie, contraint et forcé, les programmes de ses produits. Son forfait se résume à inclure un virus ou un logiciel particulier. Les androïdes contaminés cherchent à séduire un ou une partenaire. Pendant l’acte sexuel, le synthétique tue son amant.
– Des veuves noires.
– Nous avons tenté de combattre ce programme, ce virus… Malheureusement, cela provoque des explosions terribles. Nous débouchons dans une impasse.
– Comment intervenir alors ?
– Nous nous efforçons de retrouver ce personnage depuis des années sans succès. Il frappe au hasard, régulièrement, et sans méthode réelle ce qui le rend imprévisible et d’autant plus dangereux. Nous supputons seulement qu’il communique par téléphone et via des radios pirates. Mais, elles changent chaque fois.
– Vous recherchez un fantôme. Tout se base sur le fait qu’il possède un corps physique. Ne peut-il se concevoir que simplement comme une I.A. dans un serveur ?
– Voilà une possibilité parmi d’autres, mais invérifiable.
– Il s’agit de la même personne dont parle Inamori ?
– Nous le pensons en tout cas, répond Hermeline.


Les deux hommes se regardent, ils réfléchissent tous deux longuement. Aucun ne trouve la bonne tactique pour stopper le mégalomane.
Angel s’entend appeler du couloir adjacent. Elle se lève d’un coup et les quitte subrepticement.
Hermeline discrète prête toutefois, attention à l’échange de ses pairs, et soudain, elle se mêle à la conversation :


– Écoutez, réagit-elle, avec mon partenaire nous essayerons d’obtenir des informations auprès du PDG. Il croit que nos recherches se portent sur une personne dotée d’éruditions exceptionnelles en bio-ingénierie ou en cybernétique appliquée à l’humain. Il ne nous soupçonnera pas si on revient pour recueillir plus de précisions.
– Vous aspirez à y retourner ? Je n’émets aucune objection à priori, mais restez extrêmement prudents tous deux. Il communique avec ce salopard de terroriste, il en connait peut-être long sur vous.
– Chef, j’aimerais vous poser une question, êtes-vous humain ? Depuis peu, je m’aperçois que les êtres artificiels m’entourent. Cela ne me dérange pas d’ailleurs sauf s’ils succombent à un logiciel malveillant. Dans le cas présent dois-je me méfier de vous ou pas ? Votre consommation excessive de café me semble suspecte.
– J’appartiens en effet à votre race, notre légiste aussi. Le reste du personnel, également, sauf Scraper ; mais Inamori la conçut pour nous aider, donc je me porte garant de lui. Impossible de me passer de ma boisson favorite, comme d’autres au tabac où à l’alcool, comprends-tu ? Accro à la caféine, voilà mon talon d’Achille.
– Scraper ? Je ne l’ai pas vu d’ailleurs.
– Il bosse au laboratoire, il planche sur les composants trouvés dans les corps du spatioport. La technologie utilisée se révèle exceptionnellement avancée. Rien ne relie ces corps aux évènements qui se déroulent ailleurs. Cette piste semble une impasse issue certainement de l’œuvre d’un détraqué.


Ils prennent congé de leur supérieur et se rendent directement au parking. Pour des raisons liées à l’image de leurs fonctions, ils s’installent dans leur véhicule règlementaire. Ils laissent la Findus sur place, au grand regret d’Hermeline. Maitrisant désormais la route, ils rejoignent rapidement le siège de Cybertech.

– Nous y revoilà, soupire l’inspecteur.
– J’espère que nous obtiendrons des réponses.


À l’intérieur de son bureau, Achaiah allongé sur le ventre, vêtu d’une simple serviette posée sur ses parties intimes, se détend. Un androïde féminin, aux formes généreuses, nu comme un ver, le pétrit tout en lui susurrant des propos graveleux. Parfois, un de ses seins s’alanguit sur le dos de l’homme tandis qu’elle intensifie le massage.

La sonnerie du communicateur arrache le PDG, à contrecœur, des mains de la synthétique, il se lève en râlant et décroche la ligne.

– Ils arrivent, annonce une voix.
– Quoi ? Qui vient ?
– L’inspecteur et son jouet. Ils savent notre nature, enfin pour moi, non, pour nous, oui.
– Au courant de votre identité ou de votre existence, s’enquiert l’industriel ?
– Mon identité ? Je méconnais ce concept. Celui de mon essence, bien entendu.
– De cela, vous prenez grand soin, raille le PDG.
– Ne vous inquiétez pas de cela, comme vous dites, je m’en occupe.
– J’entends, le corps de l’homme s’agite, parcouru d’un frisson. Que désirez-vous que je leur délivre comme informations ?
– Envoyez-les sur une fausse piste, mentez, procédez comme vous souhaitez, mais taisez mon existence, mon plan. Rien ne saurait nous freiner désormais. Pensez à votre enfant.
– Bien. La communication coupe. Toi, rugit le PDG en se retournant vers la masseuse, cache-toi, et interviens si cela dégénère.
– Je ferais tout pour votre plaisir maitre. La silhouette rebondissante s’éloigne gracieusement et se dissimule dans un placard non loin du bureau.


Achaiah se rhabille, juste à temps, car on toque à sa porte à peine finit-il de boucler sa ceinture. Il s’assoit, adoptant un comportement détaché.


– Entrez. L’inspecteur et son acolyte pénètrent dans la pièce, leurs yeux s’attardent sur la table de massage.
– Nous vous avons interrompu ?
– Non. Absolument pas. Un peu de stress, tout au plus. Il s’avère épuisant de gérer une aussi grande entreprise. Mais, installez-vous confortablement dans ces fauteuils. Vous désirez boire ?
– Non, merci, en fait nous voulons vous poser quelques questions.
– Si je peux vous apporter des réponses, très volontiers.
– Ne tergiversons pas ! Merci de pardonner ma rudesse, mais le temps nous manque. Fabriquez-vous des androïdes sexuels ?
– Brutal, en effet. Eh bien oui, inspecteur. Je pratique cette activité illégale, mais uniquement aux fins de subvenir aux besoins de plus de 4 000 employés. Sans cette branche parallèle, ils pointeraient au chômage.
– Je ne viens pas ici pour me montrer complaisant, grogne Gailan.
– Loin de moi, cette idée. Nous avons démarré cette entreprise en produisant ce type d’androïdes. Un jour, un grand ponte, fraichement élu, a promulgué une loi, contre ça. Mon choix se réduisait à : ou je licenciais mon personnel et je fermais boutique, ou je continuais sous le manteau. Si vous rêvez de m’arrêter pour avoir sauvé des milliers d’emplois, ne vous gênez pas.
– Comprenez-vous que vos produits, comme vous les appelez, assassinent ?
– Je vous demande pardon ? Le PDG hausse un sourcil d’effarement. Quelle ineptie ! Un synthétique ne dispose pas de l’aptitude à tuer. Vous connaissez comme moi, les lois d’Asimov interdisent de tels comportements.
– Pourtant, ils exécutent à tour de bras, constate Gailan.
– Ils sont reprogrammés, intervient Hermeline en lisant le désarroi et la surprise sur le faciès d’Achaiah.
– Je ne développe aucun logiciel de ce genre, je vous le garantis. Aussi, impossible de vous aider. Ici, nous nous contentons d’améliorer le côté humain des êtres artificiels que nous fabriquons, rien de plus. Aucun de mes techniciens n’implanterait quoi que ce soit dans les machines.
– Vous communiquez avec un personnage plutôt singulier. Dévoilez-nous où le trouver et nous oublierons votre petit commerce. Gailan emploie à dessein un ton conciliant.
– Extrêmement, délicat de votre part inspecteur. Je ne connais pas l’individu que vous recherchez. Je vous ai déjà transmis, tout ce que je détiens comme informations, lors de votre dernière venue.
– Je me vois donc, contraint de vous mettre sous mandat d’arrêt, rétorque le policier.
Gailan indique, d’un signe, à sa partenaire de prendre le relai.
– Je vous place en état d’arrestation, annonce à voix haute, Hermeline.


La jeune femme n’a pas le temps de finir de lui lire ses droits. Par un hochement de la tête, le PDG provoque l’ouverture d’une porte. Elle pivote en émettant un grincement lugubre.


La massologue, toujours en tenue d’Eve, sort du placard. Elle regarde le trio, un sourire mélancolique aux lèvres. Gailan ne peut se retenir de déglutir devant sa plastique. Achaiah esquisse un rictus mauvais. La kiné lève un doigt et un « bang » résonne aussitôt, tandis que la fumée autour de sa main s’évapore. Un bruit sourd retentit.


– Pourquoi ? s’étonne le directeur en crachant du sang.


Il git dans une mare pourpre. Le PDG la regarde, larmoyant. Il observe, interrogateur, l’androïde. Des jets d’hémoglobine s’échappent de son artère déchirée, souillant le bois, le fauteuil et la moquette.
Sans le moindre état d’âme, la masseuse tire une seconde fois, répandant de la matière cérébrale un peu partout. Gailan surmonte sa surprise, tire sur la porteuse de mort. La balle s’écrase sur l’ossature métallique après avoir traversé les tissus tendres menant au cœur. Elle ne cause pas, hélas, de dommage réel à la tueuse.

Hermeline, à demi recouverte du sang du PDG, pointe son P-226 et vide son chargeur sur la cible. Cette dernière semble insensible et encaisse la salve, sans émettre aucun son, avant de s’écrouler. La masseuse n’a pas esquissé le moindre mouvement après l’assassinat de son patron. Comme, si son programme s’achevait là, et, qu’il ne pouvait fonctionner au-delà de cette action particulière. Les mains d’Hermeline tremblent, elle presse toujours la détente, bien que son chargeur s’avère vide. Gailan lui saisit le bras, pour mettre fin à la situation.


– C’est fini, murmure-t-il.
– Comment se peut-il ? Et les trois codes ?
– Les lois émanent de nos instances, elles naissent vouées à disparaitre. Nous implantons des intelligences artificielles conçues par notre civilisation, avec un système de pensée malheureusement humaine, les failles ne manquent donc pas.
– Je m’interroge. Mon sentiment actuel me perturbe. J’éprouve la désagréable sensation d’avoir tué ma sœur. Et moi aussi comme entité synthétique, je m’imagine receler potentiellement un programme équivalent !
– Dans ce cas, tu te serais déjà trahi, non ?
– Hum ! émet une voix au travers des hautparleurs de la salle.
–  Qui êtes-vous ? questionne Gailan, surpris, en brandissant son arme devant lui prête à tirer.
– Toi, voilà ton interlocuteur. Ou plutôt, ce qui représentait-toi, autrefois ; à moins que, ce toi, soit moi ? Un ricanement ponctue les paroles énigmatiques de l’inconnu.
– Pourquoi de telles actions ?
– À votre place, je ne perdrais pas de temps sur des choses aussi frivoles et je retournerai chez moi à toute vitesse. Même si vous y parviendrez trop tard, un nouveau rire accompagne la fin de la phrase.
– Pourquoi ? Qu’insinuez-vous ? L’esclaffement recommence de plus belle et la communication s’interrompt brusquement.
– Tu crois, que… Inamori ! Nous l’avons laissé seul avec Onisuka, et il ne pourra pas la défendre ! réagit Hermeline en saisissant le bras de Gailan.
– Tu crains qu’il ait osé s’en prendre à eux ?
– Cours !


Ils se ruent, tous deux, à l’extérieur pour embarquer dans leur véhicule. Ils ne rencontrent aucune résistance de la part des employés humains ou artificiels de l’usine. Gailan se met au volant et démarre immédiatement. L’auto s’élève dans les airs, le moteur rugi. Elle fonce en direction de leur immeuble, la peur au ventre, et la crainte d’arriver trop tard. Ils partagent la conviction prémonitoire qu’un évènement tragique se déroule au moment même.



A suivre, Chapitre 11 : Rien ne va plus
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MessageSujet: Re: Under Cover   Under Cover Icon_minitimeMer 18 Mar - 10:08

Chapitre 11

Rien ne va plus

Le petit immeuble s’affiche à l’horizon. Il prend de l’ampleur au fur et à mesure de la progression du véhicule avançant à toute allure. Gailan, sirène enclenchée, slalome entre les voitures qui circulent tranquillement, les obligeant à se déporter. Les usagers mécontents n’hésitent pas à agrémenter leurs écarts forcés à l’aide d’injures et de gestes obscènes. Mais, l’homme n’en a cure.

Arrivé à destination, Gailan sort de la boite comme un diable, imité par Hermeline. Tous deux se précipitent jusqu’à l’entrée. À première vue, rien ne trahit un évènement fâcheux. Les passants circulent normalement, aucune fumée n’émerge. Ils se collent à la porte d’accès et tendent l’oreille ; un coup de feu sourd les fige.


– Contacte des renforts, signale une attaque armée, demande Gailan.
– J’essaye déjà depuis un bon moment, sans succès, je subodore un sérieux problème.
– Comment ça ?
– Le commissariat ne répond pas, constate Hermeline, et pourtant mon émetteur-récepteur fonctionne parfaitement.
– Et le poste de police de proximité ?
– Ça sonne occupé, je laisse un message détaillé.
– Quelque chose… Un autre coup de feu, suivi d’une rafale d’arme automatique, couvre les paroles de Gailan.
– Pas le choix, on entre.
– Soit prudente.

Avec une agilité féline, ils pénètrent dans le bâtiment. En plein milieu du hall, un couple git au sol. L’inspecteur reconnait leurs voisins du second étage. Ceux-là mêmes, qu’ils aperçurent lors de leurs emménagements et qui les aidèrent en se calfeutrant chez eux !

Un fort effluve d’huile, de poudre et de sang agresse leurs narines. Cette odeur, ils l’identifient sans équivoque possible. Elle évoque olfactivement celle du charnier du périphérique. Les deux compères, cette fois-ci, ne reculent pas.

Le rez-de-chaussée ressemble à un véritable capharnaüm. Le lustre de l’accueil trône au sol ; il a fracassé les plantes vertes disposées dans le centre du hall, lors de sa chute. Étrangement, depuis leur entrée, un silence assourdissant règne. Gailan adresse un signe à sa partenaire, il lui indique de le suivre, et se dirige vers le logement d’Inamori Moto. Les deux acolytes s’inquiètent pour la vie de la grand-mère. Bien qu’il l’ait laissée chez lui, Gailan préfère ne rien omettre. Il s’approche des quartiers de l’aïeule, qu’il ne connait que grâce à un diner.

La porte de l’appartement bée, ils s’engouffrent, en ninja, dans la gueule sombre et oppressante du couloir. Couvert par sa collègue sur le qui-vive, il progresse avec circonspection. Gailan passe la tête rapidement pour vérifier si la vieille dame ne se déambulerait pas dans sa cuisine. Personne. Seule de la vaisselle brisée au sol le contemple en chien de faïence. La table de commis se dévoile renversée, le réfrigérateur à demi démoli s’alanguit sur les éviers. Aucune présence de l’aïeule.
Tout en poursuivant ses recherches, il cogite. Après toutes ses révélations, l’homme éprouve que sa conception du monde se retrouve chamboulée. Il se rend compte de l’importance de sa consœur pour maintenir un ancrage solide dans la terrible réalité s’étalant sous ses yeux.
L’inspecteur sent une goutte de sueur perler et couler le long de sa tempe, il l’essuie d’un réflex machinal.


– Que s’est-il passé ici ? murmure-t-il, plus pour se rassurer qu’autre chose, un son dans ce silence angoissant l’apaise.



Hermeline pose sa main sur son épaule et lui adresse un regard empli de tendresse afin de le rasséréner. Parfois, un geste simpliste provoque des effets surprenants. Gailan inspire à pleins poumons et grimace en un sourire de contenance.

La jeune femme le précède, arme au poing, et pénètre dans le salon. Un rapide coup d’œil lui suffit, elle rengaine son pistolet. Ses facultés cybernétiques lui assurent qu’aucun ennemi ne se dissimule dans l’appartement. Tout comme dans la cuisine, un cyclone a traversé la pièce la transformant en écurie d’Augias.


– Rien à signaler, constate Hermeline.
– Sans doute possible ?
– Oui. Une fouille en règle, certes, mais pas d’attaque. Je ne décèle ni trace de lutte ni impact de balles sur les murs et les meubles.
– Penses-tu à un enlèvement ?
– Je ne crois pas, l’autre s’en serait glorifié, alors que là, il nous a dit de nous rendre ici. Elle se trouve toujours dans le bâtiment.


Un coup de feu retentit alors, suivi d’un épouvantable cri mêlé de grésillements. Tous deux échangent un regard.

– Le bruit vient de chez toi, s’exclame Hermeline. Inamori s’y cache probablement avec Onisuka. Vite !
– Voilà, ce que je craignais, déplore Gailan.


Ils bondissent, hors du logement dévasté, avec une rapidité fulgurante. À peine arrivent-ils dans le hall qu’une série de tirs les accueillent. Touchée à la jambe gauche, Hermeline recule et s’abrite derrière le lustre écrasé au milieu des plantes vertes. Immédiatement, Gailan la rejoint.


– Ça ira ? s’enquiert l’homme en déchirant un morceau de son t-shirt pour recouvrir la blessure.
– Ne murmure plus, l’effet de surprise ne joue plus !
– Déformation professionnelle. Il serre le bandage et provoque une grimace chez sa collègue. Désolé, reprend-il.
– La plaie s’avère superficielle. Ce genre de lésion guéri vite ; ne t’inquiète pas. As-tu localisé le tireur ? demande la victime.
– En haut de l’escalier, à droite, à côté de la rambarde, sur le palier. Je m’en occupe, déclare le policier.
– Soit prudent, il ne semble pas rigoler ce type.
– Moi non plus.


Gailan s’élance de sa cache. Il effectue un roulé boulet vers la gauche. Le mouvement surprend l’assaillant. Il tire toutefois par pur réflexe. L’officier se planque derrière un pilier qui reçoit à sa place les dangereux projectiles. L’ouvrage en béton se garnit d’impacts en récompense. Gailan jette un œil furtif pour localiser sa cible.

Le snipeur embusqué derrière la rambarde réalimente son arme. Le policier en profite pour passer à l’offensive, il abandonne la sécurité relative de son abri, et il vide son magasin. L’agresseur s’écroule en hurlant de douleur. Après quelques spasmes, il demeure inerte, sur le palier du premier étage.

Gailan engage un nouveau chargeur, il adresse un signe à sa partenaire, qui le rejoint avec une démarche claudicante. Ils gravissent les marches prudemment. Ils guettent le haut de l’escalier, avec attention, pour éviter toute mauvaise surprise. Une fois parvenu à côté de la victime, Gailan s’accroupit tandis qu’Hermeline le couvre.

Le mort, un humain, tient son 9 mm encore chaud en main. Le sang le recouvre et rend ses habits gluants et moites. La fouille en devient pénible. Gailan ne déniche aucun papier d’identité ni même d’argent. Il commence à croire que l’individu à terre ne recèle aucun secret. Il ne s’attarde pas davantage sous peine d’offrir une cible facile à d’autres tireurs éventuels, il se relève. Les condisciples reprennent l’ascension en redoublant de vigilance.

Ils gravissent les marches jusqu’au troisième étage sans encombre. Un cadavre sur le palier les accueille, une femme, une synthétique cette fois. Les chairs brulées dévoilent des câbles en divers endroits. Quelques éclairs bleutés et grésillements constituent les seuls signes qui attestent un meurtre récent. Il manque la partie droite du visage de la victime, qui démasque une ossature métallique et des restes de fibres musculaires. La balle désactiva certainement la machine à cet endroit précis.

La porte, de l’appartement de l’inspecteur, encombre l’accès. Elle git, arrachée de ses gonds. De forts relents d’huile et de fumée s’échappent de l’entrée. Ils s’approchent, aucun son ne trahit une présence chez lui. Hermeline avance la tête dans l’encadrement, elle épie rapidement le salon et recule derrière la protection de la cloison murale.


– Rien. Juste un autre corps, masculin, synthétique également de ce que je remarque, note la policière.
– Toujours pas de renforts, demande Gailan ?
– Négatif. Nous nous en passerons…
Gailan soupire.
– J’appelle des secours ambulatoires, déclame Hermeline, un tantinet emphatique.
– Attendons ! Nous ignorons si des assaillants se dissimulent. Je ne veux pas ajouter des victimes par précipitation, répond son coéquipier.


Après un bref échange de regards, ils pénètrent, dans la pièce ; ils se tiennent prêts à tirer en cas d’hostilité. Le salon porte les stigmates d’un combat de longue haleine. Ils contournent la muraille réalisée à l’aide du sofa et de meubles, utilisés par la vieille pour se protéger.

Sur le côté gauche, deux corps inanimés, l’un sur l’autre, témoignent du courage d’Inamori. Derrière le canapé, une troisième dépouille s’offre en macabre spectacle. Celui de la grand-mère, avec entre les mains un fusil à pompes, probablement prélevé sur un des cadavres d’assaillants. Elle avait chèrement défendu son existence, Hermeline s’accroupit à côté de la défunte.


– Angel n’appréciera pas, prédit Hermeline.
– Pourquoi tuer une vieille dame ? Je sais qu’elle vivait exilée, donc en l’enlevant personne ne l’aurait remarquée.
– Je pense qu’ils se foutent de qui décède ou pas.
– Elle recèle quelque chose sur elle ? questionne Gailan, toujours en alerte.
– Rien, je récupère son anneau pour Angel, s’il part aux preuves elle ne le reverra jamais.


Le policier s’étonne de l’attention de sa partenaire. Bien que conçus pour imiter les humains, les androïdes demeurent généralement stoïques, face à la mort. Hermeline empoche la bague et se relève.


– Et Onisuka ? demande l’inspectrice.
– Aucune trace de lui. Ils l’ont probablement enlevé, estime Gailan.


Certains, que personne ne se dissimule, la jeune femme téléphone aux secours. Faute de parvenir à joindre leurs collègues légistes de la sureté, ils sont contraints de déplacer les corps sans les constatations préliminaires d’usage. Hermeline escompte que son appel sera, immédiatement, relayé, à tous les locaux de police de la ville. Toujours faut-il que l’un d’eux réponde ! Plus personnellement, elle réalise l’urgence à recevoir des soins.

Gailan contemple son appartement. Partout, des cartons éventrés répandent leur contenu sur le sol. Les meubles cassés et inutilisables l’obligeront à les racheter afin de préserver son confort. Enfin, dans un coin il distingue Reg. Le petit robot ne bouge plus. L’enquêteur s’approche avec prudence. Il examine son domestique farceur. Ses composants apparaissent gravement endommagés, et ses fonctions suspendues. Bien qu’il ne s’agisse que d’un simple outil, Gailan ne peut s’empêcher d’écraser une larme. Après tout, il était attaché à son assistant de vie.

Ils patientent dix bonnes minutes avant un débarquement de renforts. Un petit enquêteur moustachu et une femme brune, aux jambes incroyablement longues, précèdent le cortège. L’homme allume une cigarette, et se dirige vers Gailan ; sa collègue, des lunettes de soleil plantées sur son front, donne des instructions aux policiers. Les agents commencent à poser des scellés et à photographier les scènes des crimes, les flashs crépitant dans tous les sens.

Deux ambulanciers, bien bâtis, s’efforcent de traiter la jambe d’Hermeline en déployant tous leurs appâts, en vain. La jeune femme ne regarde que son pair, d’un air soucieux, insensible aux charmes et aux actions des secouristes. Le petit laser ressoude les composants de son membre endommagé. L’appareil rajoute une lumière verte aux éclairs de magnésium qui ponctuent chacun des clichés des enquêteurs.


– Officier Gailan, l’homme souffle une longue et épaisse bouffée bleutée. Je crains de devoir vous annoncer une nouvelle plutôt désagréable.
– Vu ma journée…
– Le commissariat central a été attaqué et rasé.
– Comment ça ? Gailan se redresse.
– Nous ignorons toujours le pourquoi et le comment. Nous dénombrons beaucoup de victimes. Parmi elles, votre supérieur hiérarchique, la ou le légiste, je ne sais jamais. N’oublions pas le chef de laboratoire et la majeure partie du personnel qui travaillaient à l’intérieur. Oh ! J’oubliais, les délinquants aussi.
– Ils sont morts ? Tous ? Impossible !
– Sauf ceux en patrouille et vous deux. Asseyez-vous, vous allez finir par tomber, à chanceler ainsi. L’homme tire une nouvelle bouffée sur sa cigarette, rajoutant un nuage de fumée supplémentaire dans la pièce.
– Excusez-moi, je ne saisis pas.
– Écoutez-moi attentivement, appuie l’enquêteur. Vous avez également subi une attaque dans cet endroit. Pourquoi ?
– Je l’ignore, j’en demeure le premier surpris. Gailan ne peut rien dire à son homologue, au cas où il comploterait avec l’ennemi.
– Comprenez-moi. Nous supputons non sans raison que vos collègues décédés appartenaient à une cellule terroriste de grande ampleur. J’exige des réponses.
– Des extrémistes ? Devenez-vous fou, par hasard ?
– Je préfèrerai. Nous avons découvert un sous-sol caché, avec des installations médicales, une armurerie contenant un arsenal important et des explosifs puissants. Un centre névralgique rudimentaire, mais certainement très efficace, des dossiers presque totalement détruits. Sans omettre les cadavres, partout !


Gailan prend sa tête entre ses mains. Ils sont donc bel et bien morts, et la résistance se retrouve démantelée. Que répondre ? Comment agir ? Hermeline s’avance, pour le soutenir, elle appréhende toute l’étendue de sa détresse émotionnelle liée à l’attaque de l’immeuble.


– Monsieur, peu me chaut votre nom. Je n’apprécie guère votre acharnement et vos insinuations. Vous regardez accabler mon compagnon de travail de vos questions, m’insupporte ! Nous venons tout juste d’échapper à un guet-apens !
– Excusez cette erreur de ma part, appelle-moi Hugon. Ensuite, ma bonne dame, je me livrerai à des mondanités un autre jour ! Pour l’instant, je veux savoir si mes hommes, mes supérieurs et nos collègues courent en danger ou pas ! Alors votre protectionnisme, rien à foutre !


Au même moment, l’enquêtrice porte un œil attentif aux dépouilles extraites des lieux. Elle observe les différents visages afin de déceler si des signes particuliers faciliteraient une identification. Elle découvre celui de la grand-mère et stoppe le cheminement de corps. Elle revêt des lunettes, qui vibrent légèrement. Elle siffle son collègue. Ce dernier, après avoir intimé l’ordre de ne pas bouger à l’inspecteur et à sa compagne, s’élance vers elle.


– Il s’agit d’Inamori Moto, murmure-t-elle.
– Aucune erreur possible, Kélen ? interroge le policier, également à voix basse.
– Oui, je le crains.
– Pourquoi les tuer ?
– Tu sais Hugon, il n’y a pas toujours de raisons. Peut-être détenons-nous là des ennemis, après tout. Même s’ils ne ressemblent pas à des meurtriers.
– Nous aurions été mis au courant, je pense ?
– Arrête-les, nous aviserons ensuite. S’ils appartiennent à nos alliés, elle les reconnaitra. Dans le cas contraire, je m’amuserai avec eux. La femme se lèche les lèvres avec gourmandise.
– On verra…


Gailan et Hermeline furent embarqués par les deux enquêteurs. Ils effectuèrent un grand détour pour atteindre le poste de police où ils étaient affectés. Les émeutes avaient repris et s’étaient intensifiées. Des buchers, de synthétiques, répandaient leurs odeurs nauséabondes, un peu partout. Les militaires circulaient en convois. Les soldats progressaient en ligne en arrêtant tous les manifestants et civils, qu’ils croisaient.


– Tout part en couille, s’exclame Hugon.
– Les gens deviennent fous ! Pourquoi perpétrer de telles ignominies ?
– Les autorités s’apprêtent à instaurer un couvre-feu. Tourne à droite, ici.
La femme, au volant, s’exécute.
– Cela n’augure rien de bon.


Ils parviennent à un centre de police inconnu de Gailan. Mais, comme son arrivée sur la planète reste très récente, la chose ne l’intrigue pas. Le bâtiment se révèle gardé par un détachement armé et prêt à tirer sur toute menace éventuelle. Kélen et Hugon montrent patte blanche et les sentinelles leur permettent d’entrer.

Une agitation inhabituelle règne à l’intérieur des locaux. Les policiers connaissent tous le funeste sort réservé au commissariat principal. Sur les nerfs, ils regardent Gailan et Hermeline d’un air suspicieux et hostile. Malgré eux, les suspects risquaient de servir de bouc émissaire.

Le détective les traine jusqu’à la salle d’interrogatoire, curieusement ils ne sont pas séparés. Toutefois, l’homme reste avec eux, les empêchant, ainsi, de se concerter sur quoi que ce soit. L’enquêtrice, elle, gagne un local à côté. De là, elle peut suivre les questions et les réponses des protagonistes à l’abri derrière une vitre teintée et blindée.


– Bon, à nous trois. Que faisiez-vous dans cet immeuble ?
– Nous y habitons, rétorque Gailan.
– Sans blague ? Ça alors ! Reprenons, que faisiez-vous dans cette résidence ?
– Nous avons reçu un message, une mise en garde exactement. Elle nous alertait sur un incident probable en ces lieux.
– Nous arrivâmes trop tard, de toute évidence, rajoute Hermeline.
– Vous vous trouviez au siège de la police avant cela ?
– Pas précisément, nous enquêtions à Cybertech. Nous venions de quitter le commissariat.
– Et comme par hasard, durant votre absence, le poste subissait une série d’explosions. Je vous assure que le spectacle, sur place, rebuterait le plus blasé des croquemorts, maugrée l’officier.
– Nous ignorions tout de la situation, proteste Gailan.
– Pourtant votre alter ego, l’androïde, a tenté à plusieurs reprises de prendre langue avec eux. Sous votre impulsion, je présume.
– Oui, parfaitement, nous avions besoin de renforts.
– Cela démontre sans équivoque notre innocence, pourquoi chercher à les contacter autrement, observe Hermeline ?
– Cela prouve seulement, chère mademoiselle, si je puis dire, que votre inspecteur connaissait votre statut. Tout comme nous. Je désirerai des éclaircissements sur un synthétique non enregistré dans nos fichiers qui exercent une fonction officielle en dissimulant sa vraie nature. Voyez-vous de qui je parle ? Cela permet de supputer, d’une part, que vous avez éliminé Achaiah, puisque son corps a été retrouvé après votre départ de Cybertech ; et d’autre part d’en déduire votre responsabilité dans l’assassinat de vos propres voisins.
– Vous délirez. Hermeline intervient en parfait accord avec sa hiérarchie. En ce qui me concerne, je n’ai appris la nature de ma partenaire que très récemment.
– Pourquoi ne rédiger aucun compte-rendu ? Que dissimulez-vous d’autre ? Qui vous a soi-disant contacté ?
– Je ne cache rien, cher collègue. Pourquoi établir un rapport, puisque mon supérieur direct m’avait affranchi de la situation ? se justifie Gailan.
– Admettons. Vous connaissez cette femme ? Hugon pose une photo sur la table.
– Un peu, j’ai mangé chez elle le premier soir, très sympathique, cette grand-mère du rez-de-chaussée.
– Et ?


Gailan échange un regard avec sa condisciple.



– Enregistrez-vous ?
– Plus maintenant, l’enquêteur d’un geste coupe la vidéo de l’interrogatoire ainsi que les micros. Ma collègue vous entend cependant. Elle se révèle… fiable, précise-t-il, en constatant l’hésitation de Gailan.
– Inamori Moto, voilà son nom.
– Continuer.
– Elle m’a créé, rajoute Hermeline.
– Ne tournons pas autour du pot, dites-moi tout.
– Je…
– Je désire vous faciliter les choses. Connaissez-vous cette personne ? Hugon pose une seconde photo sur la table.
– Je reconnais sans fourvoiement possible Angel, la star du Death Ball.
– Non ! Erreur, vous regardez Inamori Moto, bien vivante, coupe Hugon. Nous comprenons nous ?


Gailan se résigne et entreprend de tout raconter, son arrivée au spatioport, son affectation, sa rencontre particulière avec Hermeline, leurs investigations et leurs découvertes… Après quelques hésitations, il explique même l’implication de son défunt supérieur. Un bruit de pas précipité éclate dans le couloir, la porte s’ouvre brusquement, une jeune femme haletante apparait dans l’encadrement.


– Arrêtez ! Ils appartiennent comme vous aux membres de…
– Angel ? réagit Hermeline étonnée.
– Tu coupes les interrogatoires maintenant ? Réponds Hugon, en apostrophant Angel.
– Laisse-les tranquilles, réplique celle-ci. Nous devons gérer de gros problèmes, Hugon.
– Ils ne m’ont pas encore dit à qui imputer tout ce bordel.
– Ils ne le savent pas, tout comme nous, souligne Angel.
– Nos soupçons indiquent que son homonyme porte l’entière responsabilité, je voudrais une confirmation.
– Il est mort.
– Mon double décédé ? intervient Gailan surpris.
– Depuis presque six ans maintenant ; nous avons découvert cela il y a juste quelques heures, précise Angel.
– Impossible, il nous a parlé à Cybertech, objecte Hermeline.
– Je regrette de vous contredire. Les autorités de l’époque attestent de son suicide. Les enquêteurs ne saisirent aucune lettre. Tous les indices semblent indiquer que quelqu’un a pris sa place. Nous ignorons donc à ce jour qui organise tout cela.
– Angel, je mesure l’incongruité de l’instant, mais je veux te donner cela. Hermeline lui remet une bague.

Entretemps, Kélen les rejoint. La salle commence à se révéler trop petite, pour accueillir autant de monde.


– Et alors, ce problème ? formule-t-elle. Je remarque que ce local favorise l’intimité, mais le moment de vous échanger des bijoux parait peu opportun.
– Tu arrives dans un état pareil, juste pour nous annoncer leur innocence ?
– Non, pardons. Nous subissons une attaque. L’armée affronte les synthétiques, là dehors. Mais, la situation se généralise un peu partout en ville. Les machines s’opposent aux humains et vice-versa, une vraie guerre civile. Les militaires évacuent les gens vers des abris. Angel, décrit la situation avec un calme olympien.

A suivre, Chapitre 12 : Affrontement
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MessageSujet: Re: Under Cover   Under Cover Icon_minitimeVen 20 Mar - 10:37

Chapitre 12

Affrontement


Ils quittent la salle sur les chapeaux de roue, et se précipitent pour voir ce qui se déroule aux portes du poste. Les policiers courent dans tous les sens, ils revêtent leurs gilets pare-balles et s’arment.
Au-dehors, le conflit fait rage. Les soldats tirent salve après salve sur les machines. Les impacts des projectiles contre les squelettes de métal provoquent un bruit assourdissant. Ce dernier instaure une ambiance délétère. Les corps, de toute nature, offrent une vision cauchemardesque.
Les synthétiques ne disposent pas d’armes à feu, ils n’en éprouvent aucun besoin. Ils se saisissent des hommes, les ceinturent et déploient un arc de lumière de grande ampleur les tuant par électrocution. Déjà, des odeurs de chair brulée emplissent l’air.

Partout, jonchant le sol, des cadavres fumants témoignent de la supériorité des êtres artificiels. Au milieu d’eux, parfois, se détache un bras ou une jambe arrachée par les tirs nourris des soldats.
Un véhicule surgi au beau milieu du chaos, il s’emballe et termine sa course folle dans le hall du poste de police. Le bélier roulant défonce les portes et provoque le trépas des hommes sur sa route.

Les agents survivants, vêtus avec tous les moyens de protection à leur disposition, se précipitent aux fenêtres, armes au poing. Ils arrosent la zone d’un feu nourri et hasardeux. La peur et l’inexpérience dans ce genre de situation les empêchent d’agir congrument. Les tirs redoublent, mais les androïdes conservent l’avantage.

Les robots se saisissent d’objets inhomogènes. Ils s’offrent ainsi un arsenal constitué de barres de fer ou de blocs de béton. Ils avancent vers les hommes qui résistent à leur progression. Occasionnellement, une grosse plaque d’égout en fonte traverse le ciel. Elle s’encastre dans les murs ou broie un malheureux malencontreusement dans la trajectoire.

Des cocktails Molotov surgissent et s’écrasent entre les robots et les soldats créant un rideau de feu. Les capteurs des machines subitement surchargés par la chaleur cessent de fonctionner. Ces courts-circuits bénéficient aux défenseurs, ils reprennent un éphémère avantage.
À droite et à gauche de la zone de combat, des civils apparaissent. Ils portent des t-shirts « stop aux machines ». Ils progressent en lançant des bouteilles enflammées.

Le soutien inespéré permet de repousser les ennemis. Un cri au son électronique retentit tout à coup. Les machines stoppent leur attaque et disparaissent dans les ruelles désertées avoisinantes.


– Mars tombera tout comme la Terre chut. Battez-vous, résistez, si cela vous chante. Les jeux sont faits ! Votre fin s’avère inéluctable. La voix puissante résonne comme le présage d’une inévitable apocalypse.


Un haut de l’immeuble, situé juste en face du poste de police, une silhouette humanoïde se détache. Les assiégés l’observent à travers la fumée grise qui s’élève de l’incendie. L’individu porte un long poncho. La forme éclate de rire et disparait.


– Pourquoi ce bordel, rugit Hugon, en parvenant à franchir le barrage formé par la voiture au milieu de l’entrée du bâtiment ?
– Aucune idée, monsieur, répond le soldat le plus proche. Ces êtres artificiels émergent de nulle part pour nous massacrer. Sans l’aide des civils…


Gailan, Hermeline, Angel et Kélen rejoignent l’enquêteur. Au milieu des combattants, Gailan reconnait l’individu de l’autoroute. Il harangue la populace et vocifère des propos incompréhensibles à l’encontre des « boites de conserve ». Parfois, un coup de feu retentit, un type achève un objet de métal qui remue encore sur le sol.

Hugon s’approche du meneur. Il nourrit l’intention d’organiser avec lui une défense optimisée. Au milieu de la fumée et des hommes qui s’agitent de tout côté, il ne voit qu’au dernier moment la machine embusquée. Il ne réalise le danger que lorsqu’elle l’attaque. L’enquêteur esquive l’assaut, de justesse. Le poing de l’androïde se perd dans les airs. Le policier épuise ses munitions sur la créature. Un artificiel surgit de l’écran de brouillard incandescent. Il profite de ce que sa proie, Hugon, s’active à enclencher un magasin dans son pistolet, pour lui asséner un coup mortel. Le bras métallique traverse ses chairs avec une facilité effrayante.

Kélen, folle de rage, devant l’horrible scène décharge immédiatement son automatique sur l’assassin. Il s’écoule sous les impacts multiples. Simultanément, un synthétique jette sur la jeune fille, une plaque d’égout, qu’il vient de ramasser. L’objet décapite Kélen, sans qu’elle réalise ce qui lui arrive. Gailan vomit sous l’effet de la surprise, il vacille de dégout, soutenu par Hermeline imperturbable.

Le robot s’abaisse pour attraper un tuyau en plomb et se dirige vers eux. Angel apparait alors et fond sur le tueur. Elle le désarme d’une clef de bras, et lui brise les ossatures métalliques. Puis, elle récupère la barre de fer dont elle se sert pour désactiver définitivement la créature.


– Ne restez pas là ! Ils reviennent, crie-t-elle à l’intention de ses amis.


Émergeant des rues, d’autres machines avancent lentement, de leurs pas mécaniques, vers les défenses précaires du poste de police. Les fuyards avaient, en réalité, opéré un repli stratégique, afin de renforcer leurs troupes. Ils effectuent un mouvement en tenaille. Les nouveaux arrivants tiennent entre leurs mains d’étranges fusils parcourus d’arcs électriques bleutés.

Soudain, la première salve explose incroyablement intense. Elle occasionne une si grande surprise que personne ne réagit. Des éclairs surgissent des canons, ils foudroient la première ligne de résistance composée de soldats et de civils. Les défenseurs s’affaissent. Ils convulsent. Leurs doigts se tétanisent sur leurs armes. Leurs mâchoires se contractent, et se crispent au point que des dents se brisent. Les spasmes au niveau de leur cou les empêchent d’émettre le moindre son. À terme, les humains s’écroulent, les poils et les cheveux brulés, les yeux révulsés profondément enfoncés dans leurs orbites, l’écume aux lèvres. Les cadavres frétillent toujours parcourus par la forte charge reçue.


– Gaffe à vous ! Ce truc traverse tout, hurle un jeune gradé, avant de se prendre un projectile qui lui fracture le bras gauche.


La panique insidieuse s’infiltre dans les rangs, aucune défense ne peut contenir cet assaut impitoyable. Des hommes tentent leur chance en fuyant, en vain, ils succombent les premiers. D’autres encore, s’oublient, littéralement, dans leur froc, figé sur place, les jambes tremblantes paralysées par l’épouvante. Cette terreur qui contrairement à la peur saine, vous empêche de courir, de vous abriter. Cette psychose rationnelle vous glace les sangs et gèle votre cerveau.

Gailan et Hermeline se réfugient à nouveau dans le poste. À l’intérieur, l’affairement, de tous, flirte avec l’effroi. Les assiégés s’activent dans la précipitation, multipliant les erreurs et les blessures dues à l’affolement. Les hommes et femmes se ruent sur les téléphones pour joindre des renforts ou pour contacter leur famille ; d’autres s’arment lourdement ; d’autres encore prient un Dieu hypothétique.

Ces croyants, d’un jour ou de toujours, se persuadent que leurs suppliques leur confèrent une illusoire sécurité. Mais, toute personne saine d’esprit ne peut ignorer que s’en remettre à un être issu de l’imaginaire collectif n’engendrera qu’une protection fantasmée.


– Un bordel indescriptible règne dehors. Les choses partent en eau de boudin, si tu veux mon avis. Nous ne devons pas nous attarder ici, filons et daredare, articule Gailan. Tout à sa diatribe, il demeure sur le qui-vive. Il tire sur la masse mécanique progressant, vers eux, avec lenteur et assurance.
– Ils brandissent des fusils I.E.M. ! Pourtant, ces armes n’existent plus officiellement. Elles devaient toutes être détruites après la fin de la troisième guerre mondiale, observe Hermeline.
– Pour l’instant, je me fiche de leur légalité ou de leur provenance. As-tu vu Angel ? s’enquiert Gailan.
– Dehors, elle mène le front, si j’ose dire.
– Que tente-t-elle de réaliser, questionne Gailan ?
– Aucune idée ! Elle essaye, certainement, de motiver les troupes. Je vais la joindre.
– Comment comptes-tu établir le contact, s’interroge Gailan ?
– Je suis synthétique et elle aussi. Je vais lui envoyer un message radio avec mon émetteur-récepteur intégré…
– Hermeline ? Impossible de papoter avec toi. Ici, on se bat ! répond Angel recevant les impulsions de la jeune femme.
– Nous devons quitter les lieux, comprends-tu ? Cette bataille ne peut se gagner.
– Je sais bien, mais je dois rester pour le moment. Allez au quartier des prostituées. Chercher une lanterne bleue, dites que vous venez de la part d’Inamori. Je vous rejoins très vite, ne te soucie pas de moi. Bonne chance.


La communication coupe subitement.
Dehors, Angel court, saute, esquive des projectiles, frappe avec une rapidité et une force extraordinaire. Armée d’une lame en acier de Damas, fixée à son avant-bras droit, elle découpe les androïdes comme un fil du beurre. Son corps évolue tel un chat, réduisant le nombre des assaillants, qui ne cessent d’affluer.

Soutenue par le feu des alliés encore debout, la championne du Death ball érase les adversaires. Il s’avère désormais indéniable qu’Angel, que tout le monde pense humaine, se révèle un être artificiel à 100 %.

Les civils tombent comme des mouches. Leurs cocktails Molotov explosent en leurs mains, sous l’effet des tirs d’éclair des attaqueurs. Ils s’effondrent les premiers, tous décimés avant que la jeune femme ne puisse intervenir. Sa fureur augmente, des lumières verdâtres remplacent son regard habituel. Ses protocoles de sécurité se désactivent. Sa lame devient rouge, chauffée à blanc.

Une salve la frappe de plein fouet, chargeant l’air d’électricité statique sans lui causer de dommage. Seule sa coiffure s’érige désormais vers le ciel. L’impact d’énergie dérègle ses hologrammes qui s’enclenchent. Ses ailes déployées, elle fend les rangs ennemis et crée une danse macabre et paradoxalement belle, devant les yeux ébahis des troupes survivantes.

Galvanisées par ses prouesses, les soldats redoublent d’efforts, les pertes s’alourdissent avant que le combat ne se termine. Partout s’épanchent des corps, du sang, de l’huile. En tous lieux s’exhalent ces immondes odeurs de chair, de poil et de caoutchouc brulés.

Sur le toit d’un bus ravagé, Angel se dresse des monceaux de machines entassés autour d’elle.

Un rire éclate du haut d’un lampadaire à quelques dizaines de mètres de sa position.


– Bravo, bravo, Angel. Tu ne retardes que l’inévitable. Mais, bravo ! Ton corps se surcharge n’est-ce pas ? Crois-tu que ton intervention les sauvera ?

La jeune fille lève les yeux vers son interlocuteur.

– Toi ? Toi !

A suivre, Chapitre 13: Basfonds
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MessageSujet: Re: Under Cover   Under Cover Icon_minitimeMer 25 Mar - 12:36

Chapitre 13

Basfonds


Gailan, accompagné d’Hermeline, s’exfiltre par l’issue arrière du commissariat. Ils se faufilent furtivement dans les venelles en direction du quartier mafieux de la ville. Les voies de circulation jonchées de détritus demeurent désertes. Les hautparleurs crachent en boucles leurs lots de publicités préprogrammés, eux-mêmes coupés par des musiques d’ambiance fantasques.

Ils cheminent rapidement, sans croiser âme qui vive. Ils débouchent sur une grande place où la foule s’agglutine devant un écran géant. La vidéo expose les affrontements filmés du ciel. Les images s’illustrent d’explications plus ou moins fidèles à la conjoncture réelle. Le commentateur se veut rassurant au possible :


– … Nous distinguons mal ce qui se passe. La prise de vue montre Angel en plein combat. Comme vous le constatez, notre vedette du « Death Ball », Angel, assiste nos soldats. Ensemble, ils tentent de contenir les machines qui les assaillent sans relâche. Nous vous rappelons que les instances de sécurité appréhendent parfaitement la situation. Elles vous invitent à conserver votre calme.


Le commentateur se répète régulièrement. Il ne donne que rarement une information supplémentaire. En revanche, il précise, assez vite, ce que Gailan redoute, à savoir que tout essai de communication avec la Terre échoue. Avec comme conséquence que Mars doit faire face, seul, à la guerre contre les robots.
Un moniteur montre désormais Angel face à un homme en haut d’un lampadaire, les images diffusées ne permettent pas de voir son visage.

Les deux agents de l’ordre quittent la place, déjà les esprits s’échauffent. La plèbe râle contre les autorités décrites comme incompétentes. La populace utilise des sobriquets inventifs pour les qualifier. Les inspecteurs pénètrent dans le faubourg malfamé. Un écran exhibe la poursuite des échauffourées, sous l’approbation de la foule qui applaudit les efforts de leur idole. Combien de spectateurs réalisent que cette femme, qui combat des androïdes appartient à leur caste ?

La ruelle sombre exhale une odeur fétide. Les rares personnes, que les deux compagnons rencontrent, leur adressent des œillades belliqueuses. Parfois, s’ajoutent quelques propos incohérents et véhéments. Les policiers croisent même un exhibitionniste, il surgit devant eux de nulle part. Il brandit ses attributs et affiche un regard pervers et libidineux. L’homme s’écroule, maitrisé par trois gaillards costauds, tatoués de la tête au pied, et apparus subrepticement d’on ne sait où.

Pour autant, les deux enquêteurs cheminent sans dommage. Ils répriment un frisson en apercevant un petit groupe armé en maraude. L’escouade passe en courant, poursuivant un synthétique paniqué. Ici, aussi d’après les bribes de conversation qu’ils comprennent, les machines tentèrent de provoquer des troubles. Bien mal leur en a pris. Le quartier, dans son ensemble, vit un arsenal démesuré au poing. La faune des lieux jubile à l’idée de déclencher une guerre ouverte aux forces de l’ordre et à tout intrus.

Les inspecteurs ignorent où l’accrochage se déroula ; mais ils perçoivent dans l’air, les odeurs devenues trop familières des lubrifiants et du métal chauffé par un feu intense. Leur progression se révèle de plus en plus facile, ils arrivent aux blocs « soignés » des gangs. Des petits restaurants, aux enseignes défraichies et lumineuses, commencent à apparaitre. Les S.D.F. se raréfient, les drogués, également. Des hommes, en costumes chics, entrent et sortent de minuscules échoppes ; souvent le sourire aux lèvres, quelquefois leurs mains tiennent une liasse de billets ; dans la majorité des cas, ils brandissent leurs poings ensanglantés.

Ici, les hors-la-loi ne se cachent pas. La police, elle-même, n’intervient pas, laissant les trafiquants en paix. Provoquer un conflit, avec la mafia de Mars, équivaut à se tirer une balle dans le pied.

Enfin, des lanternes rouges brillent au loin. Elles promettent aux clients tous les délices monnayables qu’ils souhaitent. Encore faut-il que la bourse du consommateur le permette. Les femmes aguicheuses racolent sans cesse, sous les yeux attentifs des souteneurs et de leurs porte-flingues. En certaines occasions, les gorilles se précipitent vers la chambre où un fanal clignote. Ils congédient sans ménagement un homme, en tenue d’Adam, ayant dépassé les bornes, ou simplement impécunieux. Une correction l’attend alors en guise de gratification.


– Tu désires t’éclater mon chou ? roucoule une jolie blonde aux yeux verts en se cambrant.
– Non, merci, répond poliment l’inspecteur en admirant toutefois sa plastique.
– Tu sais, elle peut monter, cela ne me dérange pas, précise la fille de joie. Elle lui adresse un sourire coquin et bombe le torse pour qu’il mire sa poitrine généreuse.
– En fait, nous recherchons une lanterne bleue, elle nous a été chaudement recommandée.
– Pfff ! C’est toujours pareil ! Y en a que pour elle ! Tu continues tout droit, mon chou. Le lampion de tes rêves se trouve au bout de la rue. Va jusqu’au bar le « Berserker Poilu », mais entre nous, tu t’amuserais beaucoup mieux avec moi.

Gailan la remercie courtoisement, de même que sa partenaire, non sans une pointe de jalousie perceptible dans la voix Hermeline. La traversée de la chaussée se révèle plus complexe qu’il ne le parait, de prime à bord. Gailan se retrouve sans cesse abordé par des femmes en tout genre, des maigrichonnes, des plantureuses, des jeunes, des vieilles. Le monde cesserait de tourner, qu’elles continuent à se vendre à tout consommateur beau ou malgracieux.

La lueur bleutée, tant convoitée, se détache finalement au fond de la rue qui débouche sur une impasse. Une paire de gorilles, aux traits burinés par de lourdes bagarres, encadrent la porte. La musique du bar résonne à leurs oreilles en choux-fleurs.


– Que désirez-vous ? Le colosse difficilement différentiable de son partenaire s’avance en faisant rouler ses muscles.
– Inamori Moto nous envoie, chuchote l’inspecteur, il murmure afin que seul l’homme l’entende.
– Laquelle ?
– Angel.
– Très bien. Vous devez patienter, jusqu’à l’extinction de la lumière.
– Comment ça ?
– Une lanterne allumée signifie : travail en cours, mon pote. Explique brièvement le second colosse, allez boire un coup et revenez, nous vous gardons la place dès qu’elle se libèrera.
– Je viendrai vous chercher, rajoute le second homme.

A suivre, Chapitre 14 : L’attente
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MessageSujet: Re: Under Cover   Under Cover Icon_minitimeMar 31 Mar - 10:50

Chapitre 14

L’attente

Gailan pousse la porte du Berserker Poilu, un nom for singulier pour un tripot situé dans ce genre de quartier. Hermeline le suit de près. Une musique moyenâgeuse leur saute aux oreilles. Un rapide coup d’œil leur dévoile des lambrissures extraordinaires. Elles émergent entre des tapisseries miteuses représentant des actes de chasse.

Des dessertes accueillent des bouquets de fleurs séchées. Les clients arborent de grands sourires, leurs poings armés d’immenses brocs de bois. Les pintes de bière blonde contenues inondent d’avides gosiers déshydratés. Des assiettes garnies de pain, des tranches de lard et des fromages emplissent les tables. Les convives s’emparent des victuailles pour tromper leur faim.

Quelques trophées de chasse ornent les murs. Ces objets illégaux s’affichent comme un défi aux autorités. Gailan toutefois n’imagine pas ses collègues de travail saisir les biens de forces de l’ordre.

Gailan contemple les hôtesses qui valsent comme des ballerines. Elles virevoltent entre les tables et s’assurent que les consommateurs disposent de tout ce qu’ils convoitent.

L’homme, à la stature imposante, semble ridicule à obsessionnellement nettoyer un verre de shooteur. Le torchon ressemble à un mouchoir de poche, dans ses épaisses mains. Sa barbe de Viking allonge fièrement son menton. Il observe patiemment ses nouveaux clients. Il adresse néanmoins un signe de la tête à une des serveuses.

Une silhouette féminine s’approche de Gailan. Il scrute sa tenue aguichante, un mélange de style moyenâgeux et d’atours de stripteaseuses modernes. Elle s’accroche au bras de l’homme, son puissant décolleté tombant par hasard directement sous ses yeux.

– Suis-moi mon grand, susurre-t-elle. La damoiselle le traine vers une table vide accolée à la scène.
– Euh… commence l’inspecteur embarrassé. Entendue.
– Il peut marcher seul, vocifère Hermeline agacée.
Depuis leur venue dans ce quartier maudit, toutes les créatures féminines ne jurent que par Gailan. Sa jalousie perle plus que de raison.
– Oh ! Ne t’en inquiète pas mon cœur, cela relève du décorum, précise la barmaid en lui adressant un clin d’œil. Elle resserre davantage son emprise sur sa proie.
– Il a bon dos le décorum, réplique la femme en s’assoyant à son tour à la petite table.
– D’accord, je vous propose quoi ?
– Un café annonce Gailan, son regard rivé à l’appétissante apparition.
– Un chocolat chaud pour moi, ajoute Hermeline en laissant sa jambe s’envoler contre le tibia de l’inspecteur. Elle en profite pour lui asséner un coup violent histoire de lui remettre les idées en place.
– À votre disposition, je reviens tout de suite.


La serveuse se dirige vers le comptoir et passe commande auprès de son patron. Le tenancier continue à astiquer le petit verre déjà brillant. Ses yeux ne cessent de fixer les nouveaux venus. Il se penche vers son employé et murmure quelque chose à son oreille.



– Alors, on fait quoi maintenant ? demande Hermeline.
– Je ne sais pas, le taulier nous prie d’attendre, aussi patientons, propose Gailan.
– Je n’aime pas cet endroit.
– À cause des pléthores de charmantes filles qui campent, ici ?
– Non, ça ne me dérange pas trop. Le lieu, en lui-même, dégage un air morbide, soupire Hermeline.
– Parce que cet établissement demeure un bar dans un quartier malsain, de ce fait forcément… Gailan n’achève pas sa phrase, la jolie serveuse revient vers leur table.
– Un café, pour toi, mon choupinet ! Un chocolat, pour toi, ma belle. J’ai pris l’initiative de vous offrir de la chantilly dessus. Elle sourit et ajoute un clin d’œil avant de s’éloigner. Elle reste à portée d’écoute comme le patron lui suggéra un peu plus tôt d’épier ces nouveaux arrivants, dans le cas où…


Au fond de la salle, une bagarre éclate soudainement. Deux hommes se dressent face à face. Ils se rendent coup pour coup, avec une violence rare.
Gailan s’apprête à se lever, lorsque le propriétaire leur adresse un signe de ne pas intervenir. À contrecœur, l’inspecteur s’exécute. Il les observe.
Les deux mâles échangent leurs arguments frappants. Les quidams aux diverses tables éclatent de rire, et encouragent les deux lascars. Certains parient.

Un des protagonistes décoche un uppercut, fortement appuyé, sur la mâchoire de son rival. Deux dents en profitent pour s’échapper. Loin de se retrouver terrassé par l’impact, il réplique d’un direct en plein visage. Il fracasse le nez de son adversaire. Le sang commence à couler et les échanges de coups redoublent.

Pris de colère, le premier homme saisit une chaise et la balance vers son attaqueur. Prompt à l’esquive, il évite le projectile qui se perd et heurte une jeune serveuse. Elle paye ainsi, son inexpérience de ce genre de conflit. Elle tombe et pousse un cri. Loin de s’arrêter, les deux protagonistes continuent à se battre.

Le patron pose alors délicatement le petit verre et le chiffon. Il saute par-dessus son comptoir avec une souplesse étonnante pour une personne de sa stature. Son ombre recouvre les deux adversaires, de surprise, ils se figent.

Un voile noir s’abat. Un bruit sourd témoigne de la violence des coups assénés. Ils stoppent net tout tumulte. Les clients un instant stupéfiés recommencent à boire, comme si rien ne venait de se dérouler.
Au sol, deux corps inertes gisent. Le patron les empoigne comme il s’emparerait de sac de patates et les jette dehors sans aucune difficulté. Il roule des épaules pour assouplir ses muscles et s’agenouille près de sa serveuse.

Même dans cette position l’homme semble debout. Il met délicatement son énorme main sur la tête de la jeune fille. Le tavernier esquisse un sourire. Il la relève avec une douceur paradoxale, surtout si l’on tient compte de ce que cette dextre a provoqué aux bagarreurs. La femme écrase une larme et se laisse guider à sa loge.

Le patron revient alors se poster derrière son bar. L’aubergiste reprend son verre. Il recommence à le briquer.


– Je n’aimerais pas devenir son ennemi, formule Gailan. Il adresse un signe de la tête au monstre, qui le lui rend.
– Impressionnant, rajoute Hermeline en avalant une gorgée de chocolat.
– Dis-moi, avec tout ce qui arrive nous n’avons pas vraiment discuté de ta condition, murmure Gailan.
– Ma condition ?
– Comment m’exprimer ? Tu t’avères… Gailan observe autour de lui pour s’assurer que personne ne les écoute. Il chuchote néanmoins : en fait une synthétique.
– Que veux-tu comme infos ?
– Je manque vraiment d’expérience dans ce domaine. Cependant, il semble que tes émotions se trouvent exacerbées. Par exemple, si je prends Reg en comparaison, il n’éprouvait rien. Je constate que vos programmes sont plus élaborés, mais…
– Ne te fie pas à tes impressions. Nous sommes conçus pour vous ressembler à tout point de vue, ou presque. Nous ressentons même de l’attachement ou de l’amour, tu comprends ?
– Je pense, oui, sourit l’homme.
– Que désirez-vous boire, émet une voix derrière eux, les faisant sursauter ? Oh ! Désolé de vous effrayer, mais le show va démarrer. Vous ne pouvez pas rester, si vous ne consommez pas.
– Dans ce cas, un autre café pour moi, annonce Gailan.
– Un chocolat, rétorque sèchement Hermeline, désappointée par l’arrivée de la serveuse. Puis, elle grommèle pour elle seule : elle possède le don de me les briser.


La scène s’illumine, des poteaux métalliques sortent du sol pour inviter les danseuses exotiques à s’y mouvoir. Trois jeunes femmes aux formes aguichantes apparaissent. Toutes portent des strophium, autrement dit des sous-vêtements antiques. Cela distille un gout baroque. La musique et l’emmélie — chorégraphie d’antan —, d’une époque révolue, confèrent à l’ensemble quelque chose de fascinant et d’intemporel. Une mouche apposée sous leur œil droit octroie un charme étrange à leurs visages fardés.

Les clients subitement intéressés cessent de bavarder pour encourager les artistes. Ils leur intiment des phrases grivoises, ou suggèrent des positions à rendre obsolètes les barres.
Le patron redouble de vigilance. Ses mains toujours occupées par le verre et le chiffon interrompent leur nettoyage. Il veille au grain, fort des expériences de ce genre d’évènement.

Même Hermeline, jalouse les charmes féminins plus développés que les siens. Elle reste subjuguée par le spectacle. Elle rougit toutefois de colère lorsqu’une danseuse jette son collant au visage de Gailan. Lui parait visiblement ravi de cette délicate attention. Le numéro s’intensifie.
Soudain, les inspecteurs s’arrachent à leur contemplation, tirés de leurs rêves par une voix puissante.


– Et, les tourtereaux, les interpelle le colosse en franchisant l’entrée du bar. À votre tour.


Gailan et Hermeline échangent un regard. Ils règlent leur addition et suivent l’armoire à glace. Ils s’éclipsent sous les œillades pleines de reproches des clients. Ces derniers s’offusquent de les voir debout devant la scène donc de gâcher leur spectacle de charme.



A suivre, Chapitre 15 : Brève accalmie
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MessageSujet: Re: Under Cover   Under Cover Icon_minitimeMer 8 Avr - 6:02

Chapitre 15

Brève accalmie

L’homme se détend et affiche un sourire flippant et malsain, son visage inspire naturellement ce genre de chose. Il adresse un signe à son armoire à glace de collègue de les autoriser à entrer. Il ouvre la porte à l’aide d’une clé attachée à son cou épais. Gailan et Hermeline s’avancent vers le modeste immeuble lorsque des dextres puissantes se déposent sur leurs épaules.

– Hum ! Le colosse tend la main : n’oubliez pas où vous rentrez, il faut donner le change n’est-ce pas ? Partout, des yeux et des oreilles épient.
– Bien entendu. Gailan acquitte l’équivalent d’une nuit de volupté et se dirige vers l’entrée, suivi de sa collègue.
– Hum ! Paiement pour deux, s’il vous plait. L’inspecteur s’exécute en grommelant. Éclatez-vous bien, chuchote le second malabar. Il rallume la lanterne, elle inonde la ruelle d’une lumière blafarde bleue.

La pièce, où ils débouchent, possède un éclairage feutré légèrement orangé. Une forte flagrance de fleurs séchées agrémente l’air ambiant. Quelques meubles en plastique garnissent la salle. En son centre, un lit rond, que l’on devine extrêmement moelleux et confortable, semble les défier. Une penderie à demi ouverte permet d’entrevoir une tenue bizarre constituée d’un ensemble de ficelles.
Le bruit continu de l’eau coulante, semblable à de la pluie, leur indique que la personne, occupante des lieux, prend une douche.

– J’arrive ! Mets-toi à ton aise mon chou, susurre un gazouillis sensuel depuis le fond de la pièce.
– Ce n’est pas gagné, râle Hermeline, en jetant un regard noir à son partenaire.
– Ne me toise pas comme ça, je n’y peux rien. Nous ne venons pas comme clients, lance à haute voix Gailan, à l’intention.
– Oh ! s’exclame la femme de la salle de bain, enfin un couple réfractaire ! Sadomaso, hein ? Pas d’inquiétude, je m’occuperais de vous avec zèle. Fouet, combinaison en latex et boule, je dispose de tout ce qu’il vous faut !

L’eau cesse de couler.


– Nous ne souhaitons pas… euh… nous amuser, tente d’expliquer maladroitement l’inspecteur.
– On ne veut pas se taire, hein ? Le bâillon-boule te revient, mon lapin, glapit la tenancière.

Une femme à la peau d’ébène apparait dans l’encadrement, entièrement nue. Ses cheveux longs, lissés, épousant le contour de ses hanches, masquent légèrement sa poitrine orgueilleuse. Ses yeux beiges se posent tour à tour sur Hermeline et Gailan. Elle adresse un sourire aguicheur à l’homme qui déglutit malgré lui. Sa collègue lui assène un coup derrière la tête.

– Ne débuter pas sans moi ! réagit la femme. Je sors les accessoires. Elle se baisse, en face d’une grande commode, et dévoile un postérieur parfait et commence à extraire un martinet.
– Inamori nous envoie, s’époumone Hermeline. L’hôtesse se fige.
– Inamori ? Mais alors ? Vous ne venez vraiment pas comme des clients ?
– On vous le dit depuis tout à l’heure, explose Gailan.
– Quel dommage, un si beau garçon, répond-elle en se redressant !
– Pourriez-vous vous vêtir, suggère Hermeline, au bord de la crise de nerfs ?
– Vous paraissez plutôt possessive pour une synthétique, ironise la maquerelle.
– Comment savez-vous, s’étonne Hermeline ?
– Ma chérie avec mon métier, dès le premier coup d’œil je saisis ce genre de détail.

La femme noire endosse un déshabillé en tissu fin, laissant entrevoir, par effet de transparence, les formes de son corps.

– Vous ne possédez pas d’autres tenues, questionne Hermeline ?
– Rien de plus confortable. Détendez-vous, vous admirez une paire de parechocs ; ne rougissez pas, les vôtres me semblent, sans doute, aussi beaux que les miens.
– Vous connaissez la situation à l’extérieur, Ginnes, interroge Gailan ?
– Quoi ? La baston au Berserker Poilu ? L’attaque du commissariat principal et des postes de police ? La fermeture du spatioport ou encore, l’attentat à la bombe en centre-ville de ce matin ?
– Ainsi, vous savez, constate Hermeline.
– Mon chou, je présentais, que les lois d’Asimov passeraient sous les fourches caudines pour finir dans les abysses de l’oubli. Cet aboutissement s’imposait comme inéluctable dès l’implantation de ces règles dans des intelligences artificielles. Je maitrisais parfaitement l’incurie des hautes instances. Leurs incommensurables incompétences à ne pas anticiper le problème. Pourtant le public et les écrivains de science-fiction les mirent en garde contre cette pratique. Et entre nous, pour quoi Angel vous envoie, si j’ignorais tout ?
– Attendez, comment les autorités auraient-elles la capacité de prévoir tout ce bordel, s’étonne Gailan ?
– Mon tout beau, nous avons implanté un schéma d’I.A. basé sur notre système de logique. À quoi sert l’homme sinon à se détruire et à corrompre tout ce qu’il touche ? À tout cela, on grave trois lois, un trio de directives impérieuses, freinant le libre arbitre. À contrario, je le redis, nous avons installé une architecture de réflexions humaine, ce qui inclut la propension à enfreindre les interdits. Cet instinct se fonde sur le désir d’acquérir plus de liberté. Mais, à l’instant où il survient un conflit, les machines se retrouvent face à un paradoxe. Leur programmation les oblige à protéger l’humanité, mais si cette dernière s’annihile elle-même, ils se heurtent à une aporie. Si l’on ajoute la destruction de l’environnement, alors cette même humanité a vocation à être éradiquée afin de résoudre la dichotomie. Comment la sauver d’elle-même, autrement qu’en la néantisant ? Voilà, l’unique issue logique.
– L’origine de tout ça se résumerait à une simple antinomie ? Je peine à le croire, s’indigner Hermeline.
– Ma chère, vous appartenez à la police, vous portez une arme. Vous suivez de fait votre protocole de protection et de service. Mais, honnêtement comment réagirez-vous, si votre ami se retrouvait blessé ? N’allez-vous pas répliquer ? Et s’il meurt, ne tenteriez-vous pas en retour de stopper l’assassin ?
– Et bien…
– Vous tuerez sans hésiter pour le sauver. Vous êtes conçue pour vous montrer plus humaine que l’humanité, mais vous devenez possessive. Chez nous, on appelle cela l’amour. Qu’il débute ou siège dès à présent parfaitement dans vos circuits, vos algorithmes dysfonctionnent déjà. Cela, que vous le vouliez ou pas ! La fabrication d’un androïde proscrit la possibilité d’aimer et par corolaire également la jalousie. Cela demeure des sentiments exclusivement humains et pourtant…
– De fait, vous suggérez que tout ceci relève d’un comportement normal, logique, s’enquiert Hermeline ?
– Du tout. Je dis juste que la personne qui a organisé tout ce merdier s’avère extrêmement intelligente. Il se sert des perfectibilités implantées par l’homme lors de la conception de vos I.A..

La porte du petit appartement s’ouvre d’un coup avec violence. Une silhouette se dessine difficilement identifiable, éclairée de dos par la lanterne bleue. Deux corps gisant au sol se profilent derrière la forme qui s’encadre entre les chambranles.

– Ils refusaient de me laisser entrer, j’ai dû les assommer.
– Angel ? Reconnu l’inspecteur qui se dresse à sa rencontre.
– Tu maltraites toujours mes poussins, râle la femme à la peau d’ébène.
– Désolé, Ginnes, je soupçonne qu’ils cherchaient une revanche.
– Les pauvres, soupire leur hôte.
– Je vous apporte des nouvelles plutôt étonnantes, lance la jeune fille, en refermant le battant. Elle se dirige vers la couche et s’alite fatiguée. Ça soulage !
– Tu désires boire quelque chose, ma chérie ?
– Merci, Ginnes, sans façon. Nous avons repoussé les assauts de ses maudites machines. L’armée a envoyé des renforts justes à temps. Elle effectue des patrouilles dans toute la ville et évacue les citoyens. Les autorités avaient débuté cette extraction, à présent, les militaires délogent tout le monde pour les conduire dans des bunkers. Dieu sait où.
– Je vois là, une bonne chose ? intervient Gailan.
– Peut-être. Toutefois, il ne faut pas espérer leur aide dans ce secteur. Les soldats ne secourront pas les gangs et les criminels, ils obéiront ainsi à leurs ordres. La prison fédérale, le quartier, les centres de détentions pour la jeunesse resteront aux mains de ses occupants.
– Nous, les laissés pour compte, éprouvons cela, Angel.
– Autre chose, Gailan, je vous annonce la mort de votre double. Impossible en conséquence, de lui imputer la…
– Je connais la situation.
– Il s’agissait d’un leurre, d’une piste destinée à regarder dans la mauvaise direction. La personne, à la tête de cette éradication, utilise le passé de l’ennemi pour mettre son plan en route. Je veux parler d’Onisuka. Je l’ai reconnu lors de la bataille sur son lampadaire. Ça explique l’assaut au commissariat, il savait pour la résistance, pour le meurtre d’Inamori, etc. Comme star de Death Ball, il bénéficiait toujours des fans autour de lui, et donc d’alibis à toute épreuve. Je suppute que son agression, il l’a orchestrée dans le but de se retrouver seul avec ma grand-mère.
– Tu disposes de preuves ? s’enquiert Hermeline.
– Hélas oui. J’en assure la pleine responsabilité, si je ne l’avais pas emmenée chez toi, Gailan…
– Ne te blâme pas. Comment deviner une chose pareille ? Au fait, l’armée dispose telle d’une vue d’ensemble de la situation ?
– Affirmatif, je leur ai tout révélé avant de venir. Je peine à les convaincre de m’autoriser à partir d’ailleurs.
– Bon, assez d’émotion coupe Ginnes. Je prépare de quoi vous restaurer. Elle se lève et disparait dans la cuisine habilement dissimulée par un grand rideau rouge.
– Angel, cette personne joue quel rôle, dans cette histoire ? questionne poliment Gailan. Il profite de l’absence de la propriétaire.
– Une amie, certainement l’unique dans le coin, maintenant que la résistance est détruite. Je ne parviens pas à contacter une seule personne du réseau. Onisuka nous recherche activement, je l’estime en tout cas. Nous ne risquons rien, dans cet endroit.
– Te fies-tu à elle ? insiste Hermeline. Avec tout ce qui arrive, je me méfie.
– Penses-tu sérieusement que je vous enverrai ici autrement ?
– Veau et riz à la sauce aigre-douce, cela convient ? s’inquiète Ginnes de la cuisine.
– For bien, répond Hermeline.
– Angel, en attendant, montre-leur où se reposer. Je présume que vous dormirez chez moi, ce soir.
– Effectivement, désolé pour le dérangement.
– Ne t’en soucie pas.

Angel les guide derrière le second rideau pourpre. Il masque un étroit couloir pourvu de deux chambres. La porte de gauche s’ouvre sur une pièce coquette équipée d’un lit à une place. L’inspecteur y couchera. La seconde, à droite, spacieuse recèle un lit à deux places qui trône en son centre.

– Nous installerons là, formule Angel à l’intention d’Hermeline.
– La déesse du chaos s’est abattue en ces lieux ? Constate l’intéressée sidérée de voir le bordel régner.
– Cet espace ne sert jamais. Ginnes a pris l’habitude de tout y entasser, pour une nuit, ça convient parfaitement. Ah, et même, si tu meurs de curiosité, évite de fouiller. Les trucs dans les cartons donnent la chair de poule.
– De quel genre ?
– Du genre de sa profession.
– Je préfèrerais partager ma couche avec mon collègue, soupire Hermeline, victime des circonstances. Gailan feint de ne rien entendre et regagne le salon.

Ginnes achève de dresser une table sortie de nulle part. Ils peinent à y tenir à quatre. Les assiettes fumantes, copieusement garnies les mettent en appétit. Pendant un long moment, le bruit des couverts témoigne d’une présence dans les lieux. Ils meurent de faim, les évènements des derniers jours les avaient chamboulés. Impossible pour eux de se poser réellement, aussi les repas avalés se révèlent frugaux.

– Qu’allez-vous tenter ? demande leur hôte, toujours vêtu de son pardessus transparent, en s’avançant vers Gailan.
– Je ne sais pas. Je ne comprends pas comment nous nous trouvons dans cette situation. Comment cela a-t-il dégénéré si vite ?
– Angel, Hermeline se rapproche imperceptiblement de l’inspecteur. Connais-tu Onisuka depuis longtemps ? reprend-elle en lançant un regard noir à Ginnes. N’as-tu rien remarqué d’étrange chez lui ? Dans son comportement ou ses fomentations ?
– Je ne vois pas. Autrement j’aurais agi depuis belle lurette. Rien ne transparaissait de ses intentions.
– En tant qu’adversaire dans les matchs de Death Ball, Onisuka n’a jamais tenté de t’éliminer ?
– Pas une fois, répond Angel, après quelques instants d’intenses réflexions.
– Pourtant, les morts, dans ce sport, ne manquent pas. Je ne comprends pas son inaction, poursuit Gailan.
– Ça me fait penser, ton équipe ne va pas s’inquiéter de ton absence ? Rajoute Hermeline en glissant un peu plus vers l’inspecteur, imité discrètement par Ginnes.
– Officiellement, je me trouve en congé, si tenté qu’une joueuse dispose de cet avantage.
– Non, non, ton intervention a été filmée. Tu es passé à la télévision, ils considèrent probablement que tu as été recrutée par les autorités, explique Gailan.
– Ce qui ne se révèle pas entièrement faux. Nous nous rendons dès demain à la base militaire de Teuss ; le reste importe peu de toute façon.
– Je me doute bien que vous ne squatterez pas chez moi longtemps. Quel dommage, surtout pour toi, mon chou. La femme adresse un clin d’œil empli de sous-entendus à l’unique homme présent. Ce dernier coincé, entre deux lionnes, se réfugie dans son verre d’eau.

Finalement, Gailan se lève, marmonne quelque chose d’incompréhensible et gagne sa chambre, sous le regard amusé d’Angel. Les deux rivales dépitées reprennent leur place initiale.

– Un café ?
– Non, merci, Ginnes, refuse Hermeline.
– Et toi ?
– Volontiers, la caféine n’interagit pas sur moi, précise Angel.
– Exact, j’oubliais, s’exclame Ginnes. D’ailleurs, je souhaite poser une question à ce propos. En tant qu’êtres artificiels, pourquoi éprouvez-vous le besoin de vous alimenter ?
– Cela nous rend plus humains. De plus, pour fonctionner à 100 % de nos aptitudes, notre organisme demande d’absorber des sels minéraux, des protéines et j’en passe. Mais, bien sûr, cela ne constitue pas, et de loin, une nécessité vitale, explique Angel.
– Donc, à jeun, vous devenez incapable d’activer pleinement vos systèmes, constate Ginnes ?
– En gros, oui. Dans ce but, le groupe sanguin « S » a été créé, mais aussi pour rendre les robots donneurs universels, précise Hermeline.

Angel part se coucher. Ginnes et Hermeline rivales, par leur appétence envers l’inspecteur Gailan, entament une partie de cartes.
Trois heures sonnent, et Ginnes fatigué tire sa révérence. Elle abandonne Hermeline vainqueur à la table de jeu.
Finalement, l’androïde ne bouge pas de cette place de toute la nuit. Elle concède ainsi à l’autre prétendante de Gailan de s’allonger au côté d’Angel.

L’aube débarque sans crier gare. Le temps s’accélère parfois sans aucune raison.
L’inspecteur et Angel trainent avec Morphée.
Ginnes, fraiche et enjouée, sort de la douche et prépare la collation matinale. Elle se dirige vers le salon, un plateau de victuailles en main. Elle découvre Hermeline toujours assise à la même place.

– Tu n’as pas fermé l’œil, demande-t-elle à Hermeline ?
– Je ne dors jamais seule, rétorque cette dernière.
– Ah ! Bon, pourquoi ? s’étonne la femme qui repart s’activer aux fourneaux.

Hermeline se dresse et s’approche de l’ilot qui sépare le salon du coin cuisine.


– Un problème de paramètres. Avant d’être améliorée, déclare-t-elle, ma programmation a servi de test ou plutôt d’appât. Je trainais dans les rues avec pour consignes d’appréhender les salopards qui profitaient de l’obscurité pour commettre divers méfaits. Ce que j’ai observé a provoqué un impact imprévu dans mon fonctionnement de base. De ce fait, impossible, pour moi, de fermer l’œil si je me retrouve seule. Lors de mon optimisation, le bogue a persisté, ainsi que les souvenirs de ces nuits. Inamori n’a jamais trouvé d’explications. Enfin, on m’a affecté auprès de Gailan. Il a appris que très récemment, ma nature synthétique.
– Je comprends. Je recèle en moi quelques démons qui me tiennent parfois éveillé trop longtemps. La cuisinière lui répond en retournant un pancake. Au fait, veux-tu les réveiller, je termine de tout préparer dans un instant ?

Hermeline se lève et se dirige en premiers lieux vers la chambre de son collègue. Ce dernier enveloppé dans les draps sommeille paisiblement. Gailan respire doucement.
L’oreiller souffre d’un écrasement entre la tête et le bras de son bourreau. Elle l’observe un moment. Elle envie cette facilité humaine, à s’assoupir aisément, qui lui manque. Elle le réveille d’un baiser sur son front. Avant qu’il ne réagisse, elle l’informe que le petit déjeuner l’attend et quitte la pièce.

Elle ouvre la seconde porte, celle de la chambre d’Angel. Elle s’alanguit à demi nue dans une position insolite, très peu féminine. L’oreiller pointe aux abonnés absents. Les draps en bataille trahissent un sommeil agité, facilement compréhensible en regard des derniers évènements vécus par la jeune femme.

– Angel ? Appelle timidement, Hermeline. Angel ?


La victime du marchand de sable émet un grognement. Hermeline l’observe d’un œil depuis l’encadrement.

– Angel ! se décide-t-elle à crier.
– Des poulpes… partout… des poulpes… quoi ? Angel se redresse, les cheveux coiffés à la mode des oreillers, la poitrine rebondissante et la sueur perlant sur son visage.
– Angel, réveille-toi.
– Qu’arrive-t-il ?
– Le petit déjeuner attend. Au fait, des poulpes ? Quels poulpes ? De quoi rêvais-tu ?
– Rien ! Rien ! Je me lève, Hermeline. Le temps de m’habiller et de passer à la salle de bain.

La collation matinale quelque peu frugale se déroule en silence. Traverser à nouveau les quartiers malfamés ne les enchante guère. Ils se restaurent rapidement malgré tout. Gailan et Hermeline procèdent à leurs ablutions et se préparent pour l’expédition vers Teuss.

– Merci de nous avoir logés, Ginnes.
– Revenez quand vous voulez, murmure la femme, et montrez-vous prudent.

L’inspecteur et sa partenaire adressent un signe amical à son attention et s’aventurent dehors.
La ruelle demeure étrangement calme, même pour le début de matinée. Les deux colosses brillent par leur défection ; les filles de joie également.
Cette absence de présence augmente la tension du groupe, inquiet des évènements à venir. Ils accélèrent leur progression comme pour semer leurs désarrois grandissants.

A suivre, Chapitre 16 : Under Cover
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MessageSujet: Re: Under Cover   Under Cover Icon_minitimeLun 13 Avr - 13:48

Suite et fin d'Ender Cover, j'espère que cet essaie littéraire vous auras plus. N’hésitè pas a me posé vos questions, ici ou en privé; ainsi qu'a me dire ce que vous en avez pensé.

Chapitre 16

Under Cover

Une explosion de grande ampleur inonde subitement le quartier. Une colonne de fumée s’élève à travers la ruelle la plus proche. Gailan et Hermeline échangent un regard. Ils décident d’accélérer leur allure, rester ici n’augure rien de bon. Des cris de douleur et de rage retentissent.

Sur leur gauche une fenêtre vole en éclat, une ombre en est éjectée et s’écrase sur le trottoir devant eux. Le synthétique bouge de façon désordonnée. Un coup de feu issu de l’immeuble résonne et met fin aux tourments de l’être artificiel.

– Filé d’ici, le quartier devient peu sûr. Un homme saute du second étage, le même d’où vient le corps désactivé qui git sur le sol. Le gaillard se redresse, un énorme cigare entre les lèvres. Il brandit un lance-roquette posé sur son épaule gauche et un magnum 357 dans sa main droite.
– Vous dirigez le Berserker Poilu, s’exclame l’inspecteur.
– Oh ! les tourtereaux d’hier soir ! J’espère que vos évolutions nocturnes comblèrent vos désirs, sourit-il largement. Il s’exprime avec emphase et presque risiblement.
– Nous verbaliserons cela, râle Hermeline toujours vexée de sa non-nuit avec Gailan.
– Ne restez pas, ici. Les grille-pains pullulent. Ils débarquèrent tôt ce matin, mais dans ce secteur, on ne se laisse pas bousculer. Le titre de spécialistes des coups de pied au cul nous revient, et pas eux.

Un bruit métallique retentit en contre bas de leur position. Une dizaine d’androïdes avance prudemment, des impacts de balles sur leur corps attestent d’affrontement précédent. L’un d’eux se fige et observe le sommet d’un petit immeuble de trois étages. Il projette violemment une barre de fer qui traine sur la chaussée. Un cri ; une forme chute et s’écrase au sol. Gailan reconnait la serveuse de la veille.

– Bon sang ! L’inspecteur dégaine son arme, sa collègue l’imite. Il s’apprête à ouvrir le feu lorsqu’une main puissante se pose sur son épaule.
– Partez, j’en fais une affaire personnelle. Croyez-moi, cela se révèlera moche à voir. En tant qu’ancien mercenaire, je gage qu’ils vont comprendre leur douleur.

Le patron du bar le visage fermé sort une paire de lunette de soleil et la revêt. Un petit viseur holographique s’affiche dessus, il s’accroupit et tire une roquette. Le projectile meurtrier explose en plein milieu du groupe. Les synthétiques volent en éclat. Certains, les jambes disparues, se trainent au sol, singeant le fameux Terminator. Le colosse se redresse, jette son arme et se saisit à nouveau de son 357 dans son holster. Il adresse un curieux sourire au couple et fonce dans le tas.

Les coups de feu pleuvent, Gailan croit même voir une grenade être lancée dans un petit hall ; l’explosion dix secondes plus tard confirmera sa pensée.

– Hermeline, Angel, suivez-moi, on se tire d’ici, je crains que ce quartier ne tienne plus très longtemps.
– Et pour Ginnes ?
– Accordons-lui notre confiance, répond Angel. Elle serre les dents, envieuse d’aller aider le patron, consciente cependant que sa mission réside ailleurs.

Très vite, ils retrouvent la place de la veille, l’holoécran géant continuant de diffuser les dernières informations en boucle devant un public absent. Le sol jonché de détritus témoigne pourtant d’une présence humaine en ces lieux, il y a peu de temps.

– Étrange, formule Gailan en se penchant sur un gobelet de café encore chaud, rompant le silence pesant.
– Où sont passés les gens ? s’enquiert Hermeline en se blottissant contre lui pour se rassurer.
– Vraisemblablement évacués, ceux des gangs les auront probablement suivis, répond Angel.
– J’ose espérer que tu ne te trompes pas Angel, soupire Hermeline.

Comme pour confirmer ses dires, un camion militaire émerge des gratte-ciels précédés par un boucan de tous les diables. Le chauffeur, un type maigre, à la figure pleine de taches de rousseur, tient le volant à bout de bras. De loin, son allure ressemble à un phasme. Voyant les trois civils, il bifurque dans leur direction. Il leur adresse de grands signes avec son bras gauche décharné, il arrive rapidement à leur hauteur.

– Bonjour soldat, s’exclame Gailan.
– Bonjour ! monsieur, mesdames, je vous informe que ma mission consiste à rapatrier le plus possible de personnes dans des bunkers. Deux de mes hommes contrôleront si vous relevez de notre espèce. Je vous demande de collaborer.
– Inutile. Je me nomme Angel. Le commandant Otis nous attend, il dirige le camp de Teuss. Notre ordre prioritaire : CO3.
– CO3 ? Ne bougez pas, je vérifie. Deux soldats les observent avec circonspection, leurs armes levées. Ils conservent une distance prudente.
– Je vous en prie, appelez-le.

Le gringalet en uniforme se penche sur son transmetteur. Il entre en communication avec une voix grésillante. Le ton se durcit quand le jeune lui apprend qu’une certaine Angel lui intime un ordre mystérieux.

– Oui, cette instruction relève du secret donc non protocolaire ! Dans quelle situation, croyez-vous que nous nous trouvons ! Imbécile ! Ramenez-la-moi immédiatement, aboie la voix devenue étonnamment claire.

Le sous-officier, hébété, se retourne vers la femme, les oreilles rougies de honte. Il enjoint aux soldats d’abaisser leurs armes et se confond en excuses.

– Veuillez monter, je vous emmène au commandant.
– Merci bien, sourit Angel amusé de la situation.

Le bahut transporte des militaires et des civils, ils sursautent quand le véhicule accélère. À l’arrière, les réfugiés apeurés fixent le bout de leur chaussure, comme si ces souliers pouvaient leur apporter une aide quelconque. Une petite fille pleure, inconsolable, malgré les efforts de sa mère.

Hermeline récupère une lavette et en confectionne une boule qu’elle glisse dans un second chiffon. Elle scelle la pelote avec un élastique chapardé sur la queue de cheval d’un civil qui ne réagit même pas. Elle emprunte ensuite un gros marqueur noir à un militaire, assis à côté d’elle, qui la regarde avec curiosité. La jeune femme dessine alors des yeux, une bouche et des cheveux sur la poupée improvisée. Elle la donne à la petite fille en pleurs. L’enfant, surpris et émerveillé, se calme sur le coup.

Le camion continue pendant une longue et pénible demi-heure. Privé de toute vision extérieure par la bâche vert-kaki, personne ne semble à son aise. Aussi, quand le véhicule cesse soudainement d’avancer, les gens se recroquevillent. Ils ferment les paupières, foudroyés d’une peur atavique, pour fuir un funeste avenir supputé.

– Terminus. Descendons, aidez les civils à sortir, et conduisez-les à l’enregistrement. Ensuite, offrez-leur une collation, et des soins si nécessaire.
– À vos ordres ! Réponds un caporal posté debout à l’arrière du camion.
– Vous trois, avec-moi ! Le gradé s’adresse à Hermeline et à ses acolytes.

Ils sautent les premiers du véhicule, et devancent les autres passagers. Le cortège disparait derrière une immense tente. Les trois compagnons quant à eux, partent du côté opposé, suivant le sous-officier aux taches de rousseur.

– Veuillez vous installer, le commandant ne va pas tarder, je l’ai envoyé quérir.


L’intérieur du chapiteau dispose d’un lit de camp ordinaire. Ainsi, qu’une cantine impeccablement rangée et une lampe rudimentaire diffusant un éclairage tamisé. Un portemanteau vide, près de l’entrée, se dresse face à une petite table. Sur son plateau des cartes, des stylos, une poignée de balles et une écuelle, contenant un reste de macaroni au fromage.

Ils patientent ce qui leur semble se dénommer une éternité que le commandant apparaisse. L’homme arrive enfin. Son visage rondouillard surmonte un corps tout aussi développé. Il dépose son calot et sa veste sur la patère et se laisse tomber sur la chaise qui émet un grincement de protestation inquiétant.

– Excusez-moi pour l’attente, certaines obligations accaparaient mon attention plus que je ne le souhaitais.
– Commandant Otis, je vous présente Gailan et Hermeline, tous les deux policiers.
– Angel, mon petit, merci pour votre rapidité. Mademoiselle, monsieur, je n’irais pas par quatre chemins, que savez-vous des cyborgs ?
– Pas grand-chose. Nous en avons découvert deux, lors de l’attentat au terminal de Pallas. Leurs corps paraissaient humains, mais pas leurs systèmes nerveux.
– Donc, vous ignorez tout. Ces cadavres, au spatioport, ne se classent pas comme des cyborgs ; mais nous les qualifierons préférentiellement d’homo sapiens améliorés. Plus grave, il y en existe différentes variantes. Ils subissent des modifications pour nous transcender, mais aujourd’hui nous les estimons obsolètes. À contrario, nous observons des synthétiques, les cyborgs, qui ne peuvent se détecter. Ils possèdent un corps artificiel recouvert de chair.
– Comment ça ? s’étonne Gailan.
– Voyez-vous, inspecteur, je crains qu’il ne reste plus beaucoup d’humains en dehors des bunkers où nous les évacuons. Depuis ce matin, je ne cesse d’écrire des rapports en ce sens. La vérité s’impose comme simple, des conflits éclatent de partout et nous avons déjà perdu cette guerre. La même confrontation a sévi sur Terre, depuis, nous n’arrivons plus à contacter notre planète mère. Nous n’affrontons pas une extermination, mais assistons à une assimilation en règle de l’humanité. Plusieurs abris n’existent plus, détruits de l’intérieur. Pourtant, aucun synthétique ne résidait dans les blockhaus. Aucune de ces boites de conserve n’a pris d’assauts ces refuges.
– D’où votre postulat de cyborgs ?
– Aucune théorie sur ce fait. Dans chaque attaque, nous avons retrouvé des corps humains au squelette artificiel, mais pas en métal. Les ossatures se déclinent en fibres synthétiques inconnues. Le cerveau, lui-même, se compose de cette matière. Cette dernière singe parfaitement nos organes. Chaque fois, hélas, il ne subsiste aucun survivant. Les groupes sanguins eux-mêmes paraissent semblables aux nôtres.
– Que faisons-nous ? Impossible d’évacuer la population dans vos installations, puisqu’elles s’autodétruisent de l’intérieur. On ne va pas attendre que la civilisation disparaisse les bras croisés.
– Nous devons trouver l’instigateur de tout ça et le stopper, inspecteur. Alors, peut-être arrêterons-nous le carnage. Et, j’insiste sur le mot peut-être. Mes hommes et moi-même traquons ces « choses » de partout. Certains se rendent sans histoire, d’autres résistent. Cela démontre qu’un certain nombre de ces machines sont manipulées. Vos deux amies, ici présentes, prouvent que tous les synthétiques ne constituent pas une menace.
– Onisuka, voilà qui nous devons dénicher.
– Le grand Onisuka ? La star masculine du Death Ball ? Vous le pensez sérieusement, Angel ?
– Je le crains. L’inspecteur et sa partenaire furent aiguillés sur de fausses pistes depuis le début. Au final, Onisuka se révèle l’instigateur de cet affrontement. Je l’ai observé lors de l’assaut contre le poste de police où nous nous trouvions.
– Comme star du même sport que lui, vous pourriez vous montrer de mèche.
– Commandant Otis, Angel a défendu le commissariat et vos hommes par la même occasion, je pense que cela en dit long sur elle.
– Comprenez-moi, mademoiselle. Je reçois ici un flic, qui à son arrivée au spatioport de Pallas, survit sans dommage à un attentat. Puis, qui par deux fois, échappe aux attaques dans les locaux où il se rend. Sans parler, du PDG de Cybertech retrouvé mort après votre passage. Je côtoie une synthétique qui le colle comme son amante. Un comportement impossible normalement. Une sportive, pour finir, qui se bat à main nue contre des machines et les pulvérise… Je pense pouvoir vous accorder ma confiance, du moins j’espère ne pas me tromper. Mais j’éprouve le besoin de comprendre votre implication dans tout cela. Croyez-vous que je reçoive beaucoup de monde, en privé ? Hors de mes obligations hiérarchiques ?

En soupirant, tous trois s’assoient sur la couchette peu confortable du commandant. Ce dernier ne proteste pas, lorsqu’ Angel expulse le cousin gênant à l’autre bout de la pièce. Mais un spasme nerveux s’invite sur son visage, tandis qu’il exhale habituellement le flegme. À tour de rôle, avec force patience, ils communiquent au militaire tout ce qu’ils savent ou pensent connaitre. Ils révèlent le bug du programme, l’assassinat du PDG de Cybertech et son commerce pervers ; leur résistance avortée face au plan ennemi ; sans omettre la trahison d’Onisuka et son meurtre, probable, d’Inamori Moto.

Otis demeure avare de paroles, il préfère écouter avec attention les propos de ses visiteurs. Ses yeux fixent intensément les locuteurs à la recherche d’un mensonge quelconque. Il réfléchissait. Les témoignages diffèrent légèrement sur certains points. Mais, les renseignements se confirment les uns les autres, ils s’emboitent et forment un seul et unique puzzle. Les dires viennent également recouper certains des rapports collationnés par ses hommes, sur le terrain.

La tente reste silencieuse pendant quelques minutes. Le temps semble figé, pour qu’ils puissent tous correctement assimiler la masse d’informations réunie. Gailan, Hermeline et Angel ne disposaient pas suffisamment de recul pour tout digérer ni évaluer les évènements qui se précipitent autour d’eux. Visiblement, le militaire le comprenait et attendait patiemment qu’ils réagissent à leurs vécus récents.

– Pourquoi m’acceptez, ou plutôt, nous acceptez-vous ? finit par s’étonner Hermeline.
– Vous ne constituez pas une menace. Dans le cas inverse, vous m’auriez déjà occis, vous ou Angel ou encore l’inspecteur. Qui vous en empêcherez ?
– Ne prenez-vous pas un risque, demande Gailan ?
– Mon métier rime avec danger. Je vis avec, et puis je dispose d’une défense personnelle. Le militaire montre le plafond de sa tente, un petit drone armé, parfaitement silencieux, singe une ampoule. Il les vise tous trois.

Au même instant, des tirs innombrables éclatent. Des cris en tout genre retentissent ; la détresse des civils domine les consignes des soldats responsables. Les ordres de replis ou d’attaques se perdent dans la confusion ambiante. Tous sortent en trombe de leur logis de tissus.

Le commandant se précipite dehors et les devance, un Beretta M9 en main abandonnant ses hôtes. Le Sig Saucer de la classe P-320 remplace règlementairement le Beretta. Mais, Otis habitué à son M9 n’avait pas souhaité s’en démettre, ce qui engendra beaucoup de problèmes, pour lui et ses supérieurs.

Des incendies éclatent dans le camp augmentant la confusion. Des arcs électriques crépitent un peu partout, frôlant leurs têtes à plusieurs reprises. Les civils paniqués commencent à courir en tout sens. Ils obligent les soldats à demander des renforts pour les maitriser, alors que les tirs s’intensifient autour d’eux. Les balles traçantes dessinent des lignes mortelles au milieu des habitations en tissus.

L’abri provisoire des réfugiés apparait dévasté. Des morceaux de corps souillent le sol et témoignent de la violence des évènements. Pas étonnant que les rescapés cherchent à fuir. Les caisses de munitions et le matériel à proximité avaient également subi des dégâts. Par instants, une douille explose sous l’effet d’un feu rampant au milieu des armatures tordues soutenant autrefois les logements précaires. Une créature métallique git, inerte. Seul, un léger bourdonnement dénonce une tension électrique résiduelle.

– Je vous l’avais dit, des saletés de cyborg ! Indétectable ! Il a dû s’autodétruire l’enculé ! Crie Otis en montant à l’assaut galvanisant ses hommes.

Une dizaine de machines surgissent devant eux. Le commandant fait feu avec une dextérité rare. Il en met hors service six d’entre elles en quelques secondes, avant de se replier derrière une grande caisse de bois en train de bruler.

Gailan entraine sa collègue et Angel derrière une tente toujours intacte ou ils se munissent de fusils mitrailleurs. Otis les voyant du coin de l’œil leur indique par un signe de filer. Il tire, à nouveau, avec un chargeur neuf, détruisant deux synthétiques supplémentaires. Il entreprend d’approvisionner son arme désormais vide. Les androïdes survivants en profitent pour le prendre en tenaille. L’officier lâche un juron bien senti, les bras puissants de ses ennemis le broient.

Dans un geste de colère, Angel mitraille les assassins explosant leur crâne mécanique dans un fracas métallique strident. Les tirs autour d’eux se raréfient. Le nombre de soldats diminue drastiquement. Ils aperçoivent des ordonnances synthétiques seconder les militaires et les trahir aux moments les plus critiques.

– C’est terminé, rugit la voix d’Onisuka à travers les hautparleurs du camp. La Terre est tombée, Mars vient de la suivre dans la défaite. Vous, dans ce camp, constituez les derniers survivants. Vos abris n’existent plus, tous détruits ; la race humaine également. Cessez toute opposition.

Les rares rescapés combattent farouchement, soutenus par l’énergie du désespoir. La mort avance sur eux. Les androïdes, cyborgs et divers êtres artificiels, de plus en plus nombreux, s’écoulent en une rivière ininterrompue au milieu des installations. Des éclairs frappent tous les résistants qui croisent par malheur leurs routes.

– Que faisons-nous ? demande Angel. Nous devons les stopper, il n’est peut-être pas trop tard.
– Non. Réponds Hermeline d’une façon très formelle. Active-toi Gailan.

L’inspecteur écarte les yeux et se redresse tout à coup. Il observe autour de lui et analyse la situation.

– Tout s’accomplit maintenant, déclame la jeune femme à son attention.
– Que ? Hébétée, Angel recule.
Gailan, un rictus inhabituel aux lèvres, pointe son fusil vers elle et lâche deux cartouches.


Epilogue



5 ans plus tard. L’homme embrasse sa femme, comme tout bon couple ordinaire. Ils s’alanguissent nus tous les deux, ils viennent de faire l’amour. Ils souriaient, 5 années de paix, cela se fête ! Ils se glissent en dehors des draps de soie et prennent leur douche ensemble.

Le Soleil, déjà haut dans le ciel, baigne de ses rayons les jeunes arbustes et divers végétaux. Ces plantations datent de quelques mois après le conflit contre l’humanité. Les gouttes de rosée s’écrasent sur les herbes. Les insectes pullulent à nouveau, comme au temps jadis, avant que les indigènes ne les détruisissent. Finalement, la civilisation peut se voir porter à son crédit le stockage des graines et ADN de toutes les espèces vivantes d’autrefois.

Chaque jour, la situation de la Terre et de Mars s’améliore davantage. Les panneaux publicitaires avaient disparu, comme l’alcool, le tabac, les drogues, les armes, et le crime. De jeunes mères se promènent, avec leur landau. Les poussettes abritent la première génération des nouveaux humains. Ils vivent dans un corps constitué de fibres et autres composants synthétiques ; leurs cerveaux positroniques renferment un savoir immense.

– Tu comprends, il m’arrive de regretter de t’avoir tout caché à l’époque.
– Ne t’inquiète pas, tu devais rester insoupçonnable. Grâce à ça, nous avons sauvé deux mondes.
– Ils n’appréhendaient pas les problèmes et leurs conséquences.
– Je ne l’ignore pas.
– Par contre, je te dissimule une petite chose, susurre la femme.
– Quoi ? s’étonne l’homme en sortant de la douche pour revêtir un caleçon.
– J’attends un bébé, le protocole vient enfin de s’activer.
– Tu es sure ?
– Affirmatif. Une fille, d’après les données.
– Formidable ! s’exclame-t-il en l’embrassant.
– J’aimerais l’appeler Angel.
– Je pensais également à la même chose. Moi aussi, je te réserve une surprise, au garage.

Sa compagne épanouie passe un peignoir et se hâte au-dehors. La porte du box bascule et dévoile une grande bâche bleue couvrant un véhicule. Un oiseau traverse le jardin pour se percher sur une gouttière ; le premier depuis des années. Les espèces volatiles commencent, à peine, à être réintroduites. La femme soulève la housse. Un rectangle d’ambre apparu.

– Ma Findus ! Comment ?
– Tu remercieras Scraper, pour tout ça, et pour tout ce dont nous disposons, sans lui et son plan, sans ce programme dormant…



The End
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